L'Association de Réflexion et de Recherche Clinique en Psychomotricité de Lyon et sa Région vise à promouvoir la recherche clinique en psychomotricité par divers moyens notamment : l’organisation de séminaires, colloques, groupes de réflexion. Soutenir des projets individuels ou collectifs de recherche sur la clinique psychomotrice, favoriser et/ou rechercher la collaboration avec des structures à même d’apporter une contribution directe ou indirecte au but poursuivi par l’association et tout particulièrement avec l’Institut de Formation en Psychomotricité de Lyon.
Elle s’adresse à tout psychomotricien désireux d’engager un travail d’approfondissement théorico-clinique, quel que soit son champ d’exercice professionnel ou son référentiel théorique et clinique.
Susciter les échanges, favoriser le débat entre psychomotriciens, soutenir la réflexion et la recherche à propos de la pratique, telles sont les ambitions de l’ARRCP Lyon et région. Dans cet objectif, l’association mise sur l’engagement de ses membres dans une démarche qui consiste à se confronter aux difficultés et aux doutes rencontrés dans la clinique, à approfondir ses intuitions cliniques, à les arrimer à des concepts théoriques, à transmettre et discuter les résultats de ses travaux.

mardi 11 février 2014

Un aperçu du café psychomot’ du 14 janvier 2014


Quel exercice périlleux et courageux de rentrer dans l’impasse, dans celle de nos thérapies psychomotrices lorsque plus rien ne semble bouger…  C’est Joséphine Dufour qui  s’y est « jetée », nous prouvant avec brio que c’est en réfléchissant sur nos impasses que le chemin du déroulement thérapeutique prend forme.
Psychomotricienne, Joséphine Dufour travaille en ITEP depuis sept ans avec donc une connaissance expérimentée de l’enfant « turbulent ». Elle déploie aussi une activité libérale depuis deux ans.

Joséphine s’est appuyée sur le texte d’André Calza et  Maurice Contant : « Le problème : vers une clinique de l’impasse », pp. 45-75, in « Corps, sensorialité et pathologies de la symbolisation », Elsevier Masson, Paris 2012.
Joséphine commence d’ailleurs sa présentation avec l’hypothèse des deux auteurs. Pour eux, « l’impasse est un fonctionnement qui résulte  d’une dégradation progressive du fonctionnement psychique adossé à la paradoxalité. » Ils font bien sûr référence à D. W. Winnicott, exposant le déroulement chronologiques des trois paradoxes dans l’éveil psychique : « être seul en présence d’autrui », « le trouvé-créé » et le « détruit-trouvé ».
L’acceptation de ces trois paradoxes débouche sur le sentiment de continuité d’existence, et le travail psychique de la transitionnalité.
Calza et Contant pense que c’est par défaillance de la symbolisation primaire que les patients addictifs dans l’anorexie et dans l’hyperactivité prennent appui sur leurs sensations corporelles et motrices. Du fait d’un échec de la rencontre maternelle dans le plaisir, il y a un défaut de représentation. D’où la nécessité d’un mouvement perpétuel avec déplacement des représentations vers les sensations. Pour les deux auteurs, la décharge motrice a un sens.

L’observation psychomotrice pourrait-elle nous renseigner sur ce qui s’agit dans le corps et se répète ?

Après avoir exposé ces étayages à la réflexion de notre clinique, Joséphine nous invite à la suivre dans l’accueil de Mathieu en thérapie psychomotrice.
Mathieu est un garçon de 11 ans hyperactif. Il est le deuxième d’une fratrie de trois garçons. Très dysharmonique, il semble être l’enfant symptôme responsable du conflit parental.
Mathieu est suivi en psychomotricité depuis 2006 pour maladresse, à la demande de sa mère. Joséphine s’est inscrite dans ce suivi depuis quatre ans. Mathieu a été hospitalisé en psychiatrie il y a deux ans suite à une menace de tentative de suicide exprimée au cours d’un entretien psychothérapique. Elle nous fait remarquer que la menace est considérée comme un fait de réalité.
Mathieu est un enfant qui bouge tout le temps, toujours fébrile. Si bien que Joséphine ponctue son observation par l’expression de son propre vécu : « Là je suis un peu fatiguée… Là je n’arrive plus à penser, à jouer. » Joséphine a bien souvent l’impression de ne pas être dans un plaisir partagé avec Mathieu, plaisir qui devrait être porteur du jeu et de la relation (cf Winnicott).
Les séances comportent habituellement des jeux d’adresse, des jeux moteurs (foot, tennis…), puis d’un temps de relaxation. Il semble impossible à Joséphine de sortir de ce « modèle «  de séance.
Mathieu a du mal à accepter les règles. Plus les séances se succèdent et plus Mathieu ne supporte plus de perdre.
S’il n’y a pas de plaisir, à l’inverse, Mathieu ne semble pas percevoir de déplaisir. Il ne se lasse pas tant que ce n’est pas terminé. Il y a beaucoup d’excitation. Mathieu peut parfois casser du matériel (raquette de tennis).
Lorsque Mathieu et Joséphine se retrouve la semaine suivante, celle-ci lui dit : « On n’a pas joué ». Mathieu se montre alors plus calme, plus apaisé, avec l’impression que cela continue, que tout n’est pas détruit. C’est alors qu’arrivent en séances les mimes dans un plaisir partagé. Cependant Mathieu reste à distance de ses affects.

En prenant du recul par rapport à ces quatre années de thérapie psychomotrice, Joséphine pointe des attitudes paradoxales de Mathieu :
·        Il se coupe de la relation en s’enveloppant dans des matelas, privilégiant la communication infra-verbale.
·        En étant complètement immobile il dit : « Il faudrait faire quelque chose ». Mathieu est alors dans un état d’ « agitation immobile », nous dit Joséphine, comme s’il y avait une absence de réflexivité sur son état.

Les matelas peuvent être une barrière protectrice contre les intrusions. Mais plus généralement, le jeu moteur est la seule voie d’entrée en relation.
D’après Calza et Contant, c’est le défaut d’échoïsation qui empêche à la décharge motrice de devenir message.
Perdre à un jeu, c’est peut-être perdre quelque chose de lui.
La psychomotricité serait un cadre psychothérapeutique judicieux pour Mathieu, ne présentant pas de double contrainte, c’est-à-dire sans interdiction de bouger.
La plupart du temps, le corps prend toute la place et finalement parle peu. Dans l’immobilité, dans cet état de « tension immobile » voir « d’agitation immobile », Mathieu est peut-être en attente d’une parole de la part de Joséphine.  En tout cas, Joséphine peut le penser. Serait-ce une expérience « d’être seul en présence de l’autre » ?

A partir de cette présentation de Joséphine, nous nous laissons penser, et les échanges s’animent entre nous.

Natacha nous dit que le cas de Mathieu illustre comment dans la répétition il y a projection sur l’extérieur, sur le thérapeute psychomotricien. Accueillir la répétition permettrait d’introduire la transitionnalité. Le « on n’a pas joué » de Joséphine rappelle le cas du petit Anthony décrit par Calza et Contant et qui amène les deux auteurs à ce questionnement « Quel jeu potentiel recèle ce non jeu ou quel jeu potentiel est en souffrance ?»

Interrogée sur les moments où Mathieu se cache sous les matelas, ou dans le tunnel, Joséphine le comprend aussi comme un besoin d’être contenu, de se sentir protéger. Par ailleurs, Mathieu aime se montrer (jeux de mimes).

Denis pense que le jeu, c’est toujours pour de vrai pour ces enfants. Entre le semblant et le pour de vrai, il n’y a pas de différence, pas de distance. Le faire semblant agirait comme un travail de désillusion de la réalité (une issue déçue).

Roland reprend le moment de retrouvailles avec les mots de Joséphine « On n’a pas joué ». Une parole qui questionne l’existence d’un espace transitionnel dans l’aire de jeu. C’est comme une menace de confusion : Est-ce du jeu ?
Il y aurait une menace de confusion chez Matthieu et Joséphine. Cette confusion nous ramène à la question du paradoxe de Winnicott et Roussillon évoque, lui, la capacité à résister dans la réalité.
Denis reprend l’expression de Joséphine « agitation immobile ». La confusion entre l’inerte et l’immobile, entre la vie et la mort, serait peut-être trop à fleur de peau pour que le thérapeute puisse la recevoir.

Roland ramène un autre paradoxe : celui de l’indication qui, si elle est pertinente car du côté du passage à l’acte, elle est aussi tellement sensible et sérieuse que c’est peut-être très difficilement sublimable.

D’autres échanges croisés nous ramènent aussi du côté de l’histoire de Matthieu, de sa souffrance, de son « faire semblant » et de ce qui  à peut-être à se construire d’abord dans le corps du thérapeute (rythmicité, posture…)

Enfin Joséphine conclue en relatant comment la préparation de ce café psychomot’ lui a permise d’avancer dans son travail avec Mathieu, pensant que plus généralement, c’est en travaillant sur nos impasses que nous pouvons nous remettre à penser et sortir de la confusion pour ré-ouvrir à la créativité de nos rencontres en séance de psychomotricité.
En tout cas, un grand merci à toi Joséphine pour ta présentation et le débat qu’elle nous a permis en toute créativité !

Le prochain café psychomot’ aura lieu le 15 avril prochain. Nous vous invitons à consulter le blog de l’ARRCP durant la deuxième semaine de mars pour avoir confirmation de la date.
Le thème sera celui des médiations : comment le choix et le façonnage de l’outil médiatique permettent-ils de relancer la créativité ?
Qui veut se lancer dans ce projet ?... avec bien sûr notre aide habituelle si besoin dans le choix d’un ou de plusieurs articles de références, mais aussi dans l’élaboration de la présentation.

Pour l’ARRCP,

Odile Gaucher et Natacha Vignon