Ce 5 avril dernier, c’est autour de Martin Laîné que nous avons réfléchi ensemble à la particularité de l’espace du cabinet
libéral, pour ce troisième et dernier café psychomot’ de la saison
2015-2016 centrée sur la thématique de l’espace
en psychomotricité.
Martin travaille en institution
auprès de patients polyhandicapés, et en libéral. En parallèle, il est toujours
en recherche, appartenant à un groupe d’élaboration sur le polyhandicap, assidu
à nos cafés psychomot’, participant au séminaire recherche de l’ARRCP, il est
aussi membre actif de son Conseil d’administration.
Martin nous a communiqué hier
cette belle énergie qui l’accompagne dans son travail à partir d’une
présentation en quatre temps :
1. L’espace
du cabinet n’a rien de particulier, sous-entendu que c’est le point de vue
clinique qui prime pour lui et qui pourrait se résumer ainsi : l’espace de la rencontre est le même que
l’on travaille en cabinet libéral ou en CMP.
2. Alice et son monde pas si merveilleux. Martin se laisse rêver à une jeune patiente
de sept ans qu’il reçoit au cabinet, tout d’abord accompagnée de ses parents
qui lui disent leur désespoir, puis sans eux, tout en nous livrant de façon
romancée, sensible et touchante mais non moins professionnelle l’observation
psychomotrice qu’il fait d’elle. Alice
vient consulter en psychomotricité pour des difficultés d’attention alors
qu’ « elle est très intelligente et sans doute précoce », disent
ses parents. Pataude, ses parents la sur-stimulent pour l’aider à grandir, et
se tournent vers tous les professionnels qui pourraient lui venir en
aide : professeur d’équitation et de danse, orthophoniste, orthoptiste.
Ils demandent conseil à Martin : faudrait-il consulter aussi un
ergothérapeute, un neuropsychologue ?
Martin nous
décrit tous les efforts de concentration d’Alice durant les épreuves du bilan
psychomoteurs et sa peur de se tromper. Ses maladresses sont nombreuses et
visibles entre autres dans la marche, la course, l’évaluation des distances,
dans les parcours, dans le maniement du « stylo-flamand-rose »...
Dans son petit corps, Alice a beaucoup de difficultés à s’adapter à l’espace
environnant qui semble trop grand pour elle. Alice semble dépassée, n’arrivant
pas à poser son regard, à l’affût de repères rassurants mais en vain.
Son attention
labile et le défaut d’adaptation de l’espace corporel d’Alice à l’espace
environnant laissent Martin réfléchir à l’aide des écrits de Mazeau et Pouhet qui définissent la
représentation spatiale comme égocentrée et allocentrée à partir de trois
sous-espaces : l’espace corporel, l’espace de préhension et l’espace
lointain. De plus Michèle Mazeau note que « l’orientation du regard est le reflet de l’orientation de l’attention,
tandis que de façon circulaire, là où se porte le regard, se porte l’attention. »
Pour mieux
réfléchir d’un point de vue neuropsychologique à l’attention labile d’Alice,
Martin s’étaye aussi sur les travaux de Jean
Piaget et de James Rivière.
3. Puis
Martin pose la question essentielle de la
croisée des regards des différents professionnels portés sur Alice. C’est
d’ailleurs bien ce défaut d’accordage entre les professionnels qui laisse les
parents d’Alice avoir l’impression d’être « ballotés ». En d’autres
termes, comment aider Alice à se centrer si,
autour d’elle, les soignants restent dispersés ?
Martin s’appuie
sur les travaux d’Albert Ciccone qui
préfère le terme de « transdisciplinarité » ou
« d’interdisciplinarité » à
celui de « pluridisciplinarité » : « Le travail transdisciplinaire suppose une humilité de chacun, reconnue,
tolérée, partagée. L’essentiel de la relation de soin comme de la relation
humaine n’appartient pas à une discipline mais dépasse chaque discipline. Seul
les points de vue inter ou transdisciplinaires sont compatibles avec la pensée
et protègent de l’omnipotence idéologique. »
Et là, l’absence
d’organisation institutionnelle qui structure des espaces de rencontres
transdisciplinaires manque au cabinet, un point de différenciation notable
entre le travail du psychomotricien en institution et en cabinet libéral. Nous
citons Martin Laîné : « La pratique de la psychomotricité en cabinet
indépendant nécessite une grande énergie pour aller à la rencontre des autres
professionnels, organiser les temps de réflexion avec la famille et faire
circuler la pensée et les capacités d’élaboration. Le professionnel indépendant
organise son travail en son âme et conscience, ce qui demande une certaine
rigueur, dans son suivi et ses contacts avec les autres soignants et même
souvent de dépasser sa fonction première de clinicien pour coordonner, orienter
le patient pour faire avancer la situation. »
4. Enfin
Martin soulève la question de l’argent.
Nous le citons : « Le soin
psychomoteur est onéreux et très peu remboursé par les différentes instances
s’occupant des frais médicaux. La sécurité sociale ne rembourse pas ou très peu
le soin psychomoteur et seulement quelques mutuelles prennent en charge
quelques séances par an. Des organismes privés, fonctionnant grâce à des fonds
publics et organisés sous forme de réseaux en aide aux familles dans le cas de
pathologies particulières. La MDPH intervient sur tout le territoire au niveau
départemental. »
Si le coût peut
être élevé pour les familles, Martin nous invite à réfléchir aux éventuels
non-paiements autrement qu’en termes financiers. Pour lui, cela « est
un des symptômes d’une alliance thérapeutique vacillante avec le patient ou en
tout cas avec sa famille ».
Martin reprend
la définition que Bachelart donne de
l’alliance thérapeutique : C’est « une notion multidimensionnelle incluant les dimensions de
collaboration, de mutualité et de négociation. » Bachelart isole
quatre facteurs indépendants :
·
La capacité du patient à venir travailler
volontairement en thérapie,
·
Le lien affectif unissant patient et thérapeute,
·
La compréhension et l’implication empathique du
thérapeute,
·
L’accord que partagent le patient et le
thérapeute concernant le but du suivi.
Et Martin de
préciser : « En cas de
difficulté au niveau de l’un ou plusieurs de ces facteurs, des espaces peuvent
aider le psychomotricien à réajuster un lien patient/thérapeute difficile à
développer et à entretenir. Ces phénomènes sont aussi présents pour les
psychomotriciens intervenant en institutions mais les symptômes vont se
cristalliser ailleurs que sur la question financière. »
A la suite de l’exposé d’une
grande richesse de Martin, c’est un débat passionnant qui nous anime. La
parole circule, chacun des participants s’exprimant de façon très active. Et
nous ne pourrons reprendre là que certains des points mis en discussion, en
nous excusant d’avance de ne pouvoir tout en retracer.
Cécile
amène l'image d'une mosaïque dans le soin en libéral et un accent mis sur des
symptômes multiples et diversifiés.
Image
de papillons et d'éparpillement pour Emmanuelle (Ormazabal) en repensant à
Alice et ses parents dans leur parcours.
Emmanuelle
(Blanc) qui exerce aussi en libéral, parle du symptôme dans ce qui est troublé.
Elle a l'impression que le trouble s'y préciserait de manière délicate.
Nous
allons beaucoup échangé autour de la coordination et de la manière dont le
patient est indiqué.
Denis
ramène la réalité de beaucoup de CMP et du nomadisme dans le soin de certains
patients.
Il
reprend la notion de transdisciplinarité comme nouvelle car finalement, le
savoir ne nous (soignants psy) est plus conféré comme cela, acquis, et vérité
absolue.
Un
échange ensuite va concerner le psychomotricien qui dans sa fonction et sa
formation spécifique est attentif au corps et à la psychoaffectivité, ce qui
lui permettrait d'être aussi plus tranquillement réceptif aux liens.
Les
mots intermédiaires, liant, permettant la circulation, faire des
passerelles...semblent nous parler quand en libéral il y a à porter la
communication entre les différents professionnels.
Natacha
compare avec l'institution qui est doté de ses propres organisateurs de pensée
(réunions, analyse de la pratique, synthèse).
Elle
revient aussi sur la question d'Alice à Martin « c'est ta maison ici, il
est où ton lit » et sur la personnification du lieu. L'institution fait
exister un ailleurs chez le thérapeute et le patient, thérapeute comme patient
voient et vivent le lien.
En
libéral le fantasme sur l'intime serait peut-être plus important …
Christine
parle de l'importance de différencier un espace de rencontre et un espace d'expertise
et rappelle combien Martin nous parle de l'accueil d'Alice et non de comment il
l'évalue et qui rend compte de comment il sera en lien avec d'autres.
Odile
se demande aussi si on n’est pas en train de parler du temps du libéral, qui
protège parfois de l'institution aux représentations dévorantes, le temps
du début, ou d'un temps secondaire quand le soin institutionnel a épuisé...
Denis
et Mathieu ramènent aussi la question de la temporalité, de la suite, du chemin
dans l'institution et du passage d'une institution à l'autre où espace et temps
se mêlent.
Nous
terminons ce débat sur l'argent, le paiement en libéral qui vient
symboliquement parler d'investissement et de temporalité avec toutes les
questions sur l'absence et le travail de l'attente.
La
mosaïque de nos échanges riches et variés continue à donner toujours forme à
nos pensées, à nos envies.
Cette
saison de nos cafés se termine donc et nous allons nous mettre à la recherche
d'un nouveau lieu, d'un nouveau
thème et sommes attentives à toutes vos
propositions.
Nous
sommes ravies de voir comment les cafés psychomot' sont des moments d'expressions tranquilles et de
partage entre différentes générations de psychomotriciens...
Bon
printemps à vous tous.
Odile
Gaucher et Natacha Vignon pour l'ARRCP.