Un aperçu du Café Psychomot' du 05 novembre 2019
Raphaël nous avait soumis trois
textes en lecture afin de mettre en lumière la dichotomie actuelle entre
psychomotricité fondée sur les preuves et psychomotricité relationnelle. Si le texte de James RIVIERE avait été
proposé par Raphaël dans le but de provoquer des réactions de notre part, il
nous exprime se retrouver beaucoup plus facilement dans celui écrit par Jérôme
BOUTINAUD et All. Toutefois Raphaël exprime que ni la notion de psychomotricité
fondée sur les preuves, ni celle de psychomotricité relationnelle ne lui
conviennent complètement, s'il y a des éléments intéressants dans chacune
d'elle, il est délicat de se retrouver totalement dans l'une ou l'autre vision.
Raphaël nous propose alors plusieurs
des questionnements qui le traversent. S'il est entendable de parler de preuves
en médecine voire même dans des rééducations telles que l'ergothérapie, comment
faire en psychomotricité ? Comment scientiser une pratique qui ne peut pas
l'être ? Cette dichotomie entre deux visions fait aussi écho à celle qui
pouvait être présente entre les différentes écoles de psychomotricité qui,
selon leur localité, avaient des approches divergentes fondées sur la
scientisation ou sur la psychologie. Pourquoi faudrait-il choisir un camp et
s'inscrire totalement dans des termes que nous ne pouvons pleinement
investir ? Comment construit-on notre identité professionnelle entre ce que
l'on nous enseigne dans les écoles et ce que nous cherchons par nous-même par
la suite ?
Raphaël
est lui aller chercher ailleurs, vers ALBARET ou d'autres auteurs, tel un
adolescent se rebellant contre « l'enseignement parental ». Il nous
parle ensuite de ses collègues de promo qui sont actuellement cadre, directeur
d'école, rédacteur de thérapie psychomotrice... ce qui montre qu'une évolution,
une ouverture est possible par la suite en dépit des divergences initiales de
formation.
Raphaël nous fait ensuite une
présentation rapide de sa carrière et de son lien au bilan. Son premier poste
est en hôpital de jour auprès d'enfants très déficients pour lesquels les
bilans standardisés ne sont pas forcément pertinents, il reste donc avec son
baguage « de base » (Marthe-Vyl / Bucher...). Il travaille ensuite en
libéral ce qui l'incite à s'intéresser aux bilans standardisés. Ce qui marque
un tournant pour lui est la présence d'un pédopsychiatre en CMPP qui le pousse
à travailler sur ces bilans. Il décortique alors cet outil lui-même car il n'y
a pas de budget pour se former. La question se pose alors de pouvoir
uniformiser, créer un document, un test qui puisse être coté et utilisé par
tous mais est-ce possible ? Peut-être pour le bilan mais pas en ce qui
concerne la pratique.
Raphaël a passé sa MESP dans une
institution, un lieu de soin. Lorsqu'il encadre les premières MESP, en tant
qu'examinateur, il est marqué par le fait que les étudiants le rassurent en lui
disant qu'ils seront bien en relation avec les patients. Sauf que le patient en
question quitte la salle d'examen et que les étudiants ne maîtrisent pas du
tout le bilan... Il est effectivement important de parler de la relation
lorsque l'on parle du bilan car c'est généralement la première rencontre entre
le psychomotricien et son patient. Cependant le bilan est également là pour
déterminer s'il y a un besoin de suivi et donc pour avoir une observation
relativement objective de la personne et de ses troubles. C'est dans cette
optique là que la standardisation paraît être intéressante car elle permet, en
cadrant l'observation, de limiter les variables parasites. Avoir la même
consigne, le même matériel pour tous les psychomotriciens et tous les patients
permet de pouvoir dire que les variations observées appartiennent au sujet en
présence. Cela offre la possibilité d'avoir une photo nette de la personne où
elle en est à l'instant T et de se rapprocher le plus possible du « score
exact ». La standardisation offre une harmonisation des notes qui permet
d’avoir une observation objective.
Les
étudiants lui demandent souvent comment faire pour un enfant qui refuse, qui s'oppose et sera donc en échec sur tout, il sera
forcément pénalisé par la standardisation...
Pour Raphaël, la cohorte utilisée pour établir les tests se base sur un
ensemble suffisamment large comprenant des enfants qui ont pu s’opposer pendant
les épreuves. Les scores prennent en compte cette éventualité.
Il
lui est aussi parfois dit que l'opposition à l'utilisation des tests
standardisés vient du fait de ne pas vouloir mettre les enfants dans des cases.
Ce à quoi il répond que les enfants sont déjà dans la case de ceux qui ont
besoin de passer un bilan psychomoteur. Cela permet juste de savoir où ils se
situent dans cette case qu'ils occupent.
Les protocoles des tests
standardisés sont très détaillés, on pourrait alors se poser la question de
notre spécificité. Une personne sans formation
particulière qui travaille le bilan pourrait-elle être apte à le faire
passer ? Que pouvons-nous apporter par notre approche spécifique ?
Notre rôle est de mettre en lien les scores objectifs obtenus et les
observations que nous avons pu faire mais également de recouper les différents
scores les uns avec les autres. Cette mise en perspective n'est possible
que par la pratique et l'expérience. Selon Raphaël, le bilan est un acte de
participation au diagnostic médical.
Raphaël nous rapporte ensuite les
propos de Laurence VAIVRE DOURET qui dit que les psychomotriciens utilisent des
bilans venant de la médecine, de la psychologie ou de l'ergothérapie mais que
pour autant nous sommes ceux qui nous plaignons le plus de nous faire
« piquer » notre boulot et nos tests (NPmot' et DF-mot). La richesse
de notre profession réside dans les liens que nous pouvons faire entre les
résultats obtenus et nos observations pour avoir une approche différente des
autres professions. Ce qui rejoint les propos de D. COURBERAND qui définit la
psychomotricité comme étant « un travail interprétatif entre le corps qui
montre et le corps qui cache ».
Raphaël
conclue son intervention théorique en nous expliquant que, selon lui, l’intérêt
de la cotation serait de refaire une évaluation quelques temps plus tard afin
de comparer et mesurer l'évolution de l'enfant. Si un enfant passe d'un
résultat de -14 écarts types à -5 écarts types alors peut-être qu'il est
pertinent de coter pour objectiver l'évolution. De plus le bilan coté permet
d'avoir une idée de l'âge réel de l'enfant.
Raphaël
poursuit ensuite avec un cas clinique. Noa est un garçon de 8 ans qui ressemble
un peu à Harry Potter. Il présente un retrait autistique mais est jusqu'à
présent passé entre les gouttes de tout diagnostic. Noa n'a pas de copains, il
a du mal à être en lien avec ses enseignants (et réciproquement) mais ne
présente pas de difficultés d'apprentissage. Il n'aime pas les jeux de société
ni les jeux de construction. Sa mère dit qu’il présente un « mutisme
corporel ». Elle est inquiète du bilan car elle veut des tests
standardisés et a un peu peur des psychomotriciens issus de l'école de Lyon.
Raphaël
commence son bilan par une observation psychomotrice et des jeux de ballon. Noa
participe et rit mais il demande ensuite à Raphaël de « faire du
travail » car il trouve qu'il a beaucoup joué. Raphaël lui propose alors
les tests standardisés et Noa lui pose beaucoup de questions sur les écarts
types, il lui explique alors ce que c'est. Lors de ce bilan Raphaël se surprend
à faire le Stamback jusqu'au bout et observe que Noa ne parvient pas à
comprendre l'écriture symbolique. Dans le BHK, il observe de nombreuses
inversions de lettre. Il a donc divers éléments mais ne sait pas bien quoi en
faire... Il restitue le bilan à la mère et lui propose de retourner vers son
généraliste pour qu'il puisse faire la synthèse des bilans. Raphaël nous
explique que les résultats apparaissaient trop hétérogènes pour faire une
synthèse. Il suggère néanmoins en fin de bilan une orientation vers un bilan
orthophonique et orthoptique. Il s’avère ensuite que l'orthophoniste détecte
une importante dyslexie très compensée
et l'orthoptiste repère de gros problèmes visuels.
Dans cette
situation, Raphaël a eu besoin de commencer par de la psychomotricité dite
« relationnelle » pour pouvoir ensuite proposer des tests
standardisés. Pour lui il est important d'utiliser ces tests de façon raisonnée
pour proposer un accompagnement à la carte à chaque personne reçue. Raphaël
explique qu'il est, selon lui, nécessaire d'utiliser les deux « types de
psychomotricité » pour s’ajuster au mieux à la personne reçue. Pour le
moment la psychomotricité est présente dans les plans gouvernementaux (autisme
et dyspraxie) mais il semble important
d’utiliser des tests standardisés pour objectiver notre pratique et
défendre notre spécificité.
Cécile entame la discussion en nous présentant sa pratique
dans un SSR auprès d'enfants brûlés ou cérébraux lésés. Les bilans qu'elle peut
pratiquer sont très spécialisés et orientés pour détecter des troubles
dysexécutifs. Il est évident que les enfants qu'elle rencontre présentent ce type
de troubles mais qu'en est-il du sensoriel ? Pour chercher dans cette
direction elle utilise les bilans qui sont souvent pratiqués auprès des
personnes autistes, ce qui ne lui convient pas car les troubles ne sont pas les
mêmes. Elle cherche des bilans qui puissent être évolutifs entre sensoriel /
moteur et cognitif mais rien n'existe et encore moins des bilans normés.
Raphaël
lui répond qu'il faut effectivement adapter le bilan à l'enfant mais comment
faire ? Par rapport à quelle norme ? C'est aussi le problème des
bilans de niche car les éditeurs cherchent la rentabilité ce que ces pratiques
ne permettent pas. Il nous alerte aussi sur la nécessité d'acheter les bilans
pour qu'ils continuent à être édités.
Une autre problématique s’impose à Cécile et sa collègue :
ce sont les seules à ne pas proposer de bilan standardisés dans l’équipe
(kinésithérapeute, ergothérapeutes, orthophonistes).
Marème évoque ensuite sa pratique dans un service
d'addictologie. Ses collègues font toutes des tests standardisés mais elles les
psychomots ? Quels chiffres peuvent-elles entrer dans le fichier
informatique ? Elles n'ont pas de données chiffrées à entrer et ne font
« que » des prises en charges considérés comme étant corporelles, le
suivi en psychomotricité devient donc facultatif.
Cécile rebondit en disant que les chiffres permettent pour
elle d'évaluer la perte subie et donc si elle est récupérée ou non. Elle se
questionne également sur la possibilité d'intervenir auprès des patients au bon
moment car comme elle n'a pas de bilans cotés adaptés, elle est moins en lien
avec les médecins et son intervention passe en dernier plan ou intervient trop
tard.
Nous en
revenons à la cotation. Pour avoir des bilans cotés, il faut une cohorte
suffisamment importante pour pouvoir se référer à une norme. A-t-on
« suffisamment » d'enfants grands brûlés ou d'adultes en addicto pour
pouvoir faire ce travail de cotation ?
Denis nous parle de son utilisation de l'échelle de DUNN.
Il y a des chiffres mais il y a surtout un questionnaire qui permet ensuite de
faire le lien avec la théorie.
Mathieu nous questionne ensuite sur la possibilité
d'uniformiser un bilan qui pourrait être commun à tous alors qu'il existe des
cliniques de niche. De plus, les enfants arrivent souvent avec un diagnostic déjà
bien posé (« il est autiste »), comment s’inscrire dans le diagnostic
dans ces cas-là ?
Raphaël se
montre très pessimiste sur l'évolution des postes de psychomotriciens en
institution notamment avec l'émergence des plateformes d'orientation précoce. Il
s'inquiète de la possible disparition des CMP.
Denis se retrouve bien dans la présentation qu'a fait
Raphaël et l'idée d'une psychomotricité intégrative lui plaît bien. Lui a
commencé avec la phénoménologie, assez difficile d’accès, puis il y a eu la psychanalyse
qui était beaucoup plus claire. Pour lui la psychomotricité est une profession
qui avance et il est important de dépasser la question du relationnel ou pas.
Se posent ensuite les questions de l'uniformisation des
pratiques, de la cotation à l'acte que cela pourrait entraîner, de la
nomenclature choisie et de comment les pratiques de niches pourraient également
être exclues de ces actes pensés pour le plus grand nombre. Raphaël nous
explique que les orthophonistes font toutes le même bilan mais que par la suite
la rééducation, l'accompagnement, varie d'une professionnelle à l'autre. Il n'y
aurait alors plus aucune flexibilité et plus aucune personnalisation possible
dans l'acte du bilan ?
Est ensuite posée la question de pourquoi et pour qui on
fait un bilan ? A quoi va répondre le bilan ? Comment faire quand le
bilan réalisé ne répond pas à la demande initiale à l'origine du bilan ?
Nous nous quittons après cette présentation très riche et
ces débats animés avec encore de nombreuses questions non résolues :
Quelle conduite doit-on tenir avec le bilan ? Quels outils doit-on
utiliser ? Quelle évaluation faisons-nous du bilan ? Quels objectifs
nous donnons-nous dans la passation d'un bilan ? Cécile conclue la soirée
en nous disant que le bilan permet, pour elle, d'explorer des domaines où nous
ne serions peut-être pas allés chercher.
Nous vous
proposons de nous retrouver le 18 février, toujours au comptoir de Béline, pour
poursuivre notre réflexion autour du bilan. Nous n'avons pas encore le nom de
la personne qui interviendra mais il vous sera communiqué par la suite.
Nous vous
souhaitons de passer de belles fêtes de fin d'année et serons ravies de vous
retrouver début 2020.
Lison
Gilardot, pour l'ARRCP.
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