Denis
Mortamet inaugurait le premier café-psychomot de la saison consacrée au thème
de la créativité. Nous étions environ 25 autour de lui, jeunes et moins jeunes,
tous animés par la part créative de notre travail de psychomotricien, et
accueillis comme d’habitude par Maxime, toujours là pour faciliter nos
rencontres…
Modestement, Denis nous annonce qu’il se lance dans
un exposé bien classique de son balayage théorique sur le concept de la
créativité. Modeste, certes Denis l’est, et en même temps son exposé a été
d’une densité toute aussi certaine… de la haute voltige !
Le lancer de Denis invite comme première piste,
celle de la psychanalyse (nous pensons au non moins célèbre For-Da, celui-là
même, allez, nous nous risquons à cette interprétation, qui nous permet de nous
éloigner, nous retrouver...)
·
Freud dit que l’élan créateur est d’origine
sexuel. D’où l’importance de la sublimation pour pallier à l’impuissance. La
créativité naîtrait donc de l'insatisfaction et du manque.
·
Mélanie Klein pense que l’accès à la créativité
témoigne de l’entrée dans la phase dépressive.
·
Pour Winnicott, la créativité est universelle et
inhérente au fait de vivre. Elle nait d’une rencontre entre le bébé et sa mère,
et cette pensée se différencie de celle de Freud, puisqu’il s’agit non pas dun
manque, mais d’un avoir. Le bébé a l’illusion d’omnipotence. La mère est
« le miroir de tout son corps ».
L’objet transitionnel est trouvé/créé et
il y aurait à laisser l’incertitude au bébé.
Denis souligne l’importance du paradoxe
dans la pensée de Winnicott. « Etre seul en présence de l’autre »,
c’est dire comment pour être seul, il ne faut pas être seul. Et c’est bien
parce que ce paradoxe ne se résout pas qu’il nous guide vers des issues
créatives émergeant dans le jeu et l’aire transitionnelle.
Le travail du doute et de l’incertitude
est fortement à l’œuvre dans la pensée winnicottienne.
·
Marion Milner théorise dans son travail sur la
survie, le concept de médium malléable comme un représentant de la
représentation et une figuration du psychisme du thérapeute. D’où le paradoxe de l’enfant qui répond à
« Ce n’est qu’un jeu. » par « Mais je joue pour de
vrai ! »
·
René Roussillon développe l’idée du processus de
symbolisation primaire. L’informe, c’est le premier temps de l’appropriation.
Il y a transfert sur des objets inanimés, les « objeux » :
l’enfant crée des objets pour le jeu.
L’éprouvé de l’informe, c’est l’éprouvé
d’une attente de forme, d’une attente de liaison psychique. C’est l’expérience
du non intégré à l'intégré.
L’autre devient un objet trouvé/créé.
L’enfant trouve chez autrui quelque chose de « lui » et de « pas
lui » (homosexualité primaire). « On n’intègre pas que dans le
plaisir, mais on intègre pas sans plaisir. » Pour Jacques Hochman :
« La mère doit aimer aimer.» La mère doit inventer comment aimer son bébé
et prend plaisir à cela. C’est le croisement des auto-érotismes.
La deuxième piste est celle des neurosciences,
Denis soulignant l’investissement neuromoteur dans la créativité, mettant en
exergue la motricité. La main qui se tend vers l’objet, c’est déjà une
intention créative.
Puis Denis nous ramène dans la salle de
psychomotricité, ce lieu peuplé d’objets excitants. Quels sont ces objets
que nous mettons à dispositions de nos patients ?
Il nous propose un petit détour par une citation de
René Char, qui, à propos de la peinture
de miro nous dit « la main déliée suit l'outil ».
Les objets de nos salles, loin d'être là par
hasard, sont autant de d'incertitudes à manipuler, saisir et construire dans la
rencontre.
Fabien Joly évoque la question de jouer avec du
pulsionnel.
Denis se réfère aussi à Henri Maldiney
(phénoménologie) qui parle de « pulsion ludique » où « l'enfant se confie au
monde, à l'espace à travers les façons de son corps ».
Denis nous
parle alors d’André, son petit patient, qui veut faire « la pieuvre » ou « le
volcan et ne semble pouvoir utiliser les
objets que tout seul, sans qu'il puisse y avoir de rencontre avec Denis, le
rendant impuissant.
Cela vient nous interroger sur la réduction de
l'espace de soin psychomoteur à la présentation d'objets de jeux et donc la
question de la présence du corps dans le travail psychomoteur.
Denis nous rappelle combien cette question en soi,
du corps et de la médiation corporelle est complexe et il
revient à la motricité comme un matériau de la motilité (capacité de se mouvoir) du sujet.
De la salle de psychomotricité, Denis va nous
inviter à naviguer dans d'autres pensées du corps :
« Une rencontre est d’abord motrice et expérience de l'altérité (compénétration)» pour Henri Maldiney . La
puissance de la forme est de rétablir la rencontre motrice.
La motricité est « messagère » pour Nicole
Girardier.
« Une motricité de relation » pour Fabien Joly.
Denis nous rappelle que la motricité, par ses
limites, n'est pas un médium malléable total et cela ouvre les portes de la
castration.
Alors quand la motricité fait symptôme
(étymologiquement tomber ensemble) comme c'est le cas chez nos patients, ça
serait comme dire « ne plus jouer » ?
Le paradoxe réapparaîtrait-il dans le vide de
l'irruption du symptôme ? Et alors y aurait-il à supporter et écouter en nous
la résonnance de l'attente de l’informe, de l'attente d'une liaison psychique
???
Y aurait-il
alors quelque chose à construire du corps de l'autre en assurant ainsi un fond
corporel ?
Les échanges ont été nombreux nous ramenant mieux
encore à la clinique, à nos cliniques. Nous avons noté, les réactions de
Pascale, Odile, Roland, Cécile, Natacha, Joséphine, Mélanie, Christine, et en
ai sûrement oublié d’autres…
Comment faire avec la motricité si inexistante des
patients polyhandicapés ? Comment faire avec notre motricité, notre
manipulation de l’objet lorsque l’autre ne peut pas ? L’informe est aussi
présent dans l’image parentale de l’enfant polyhandicapé…
Et à l’inverse, pour les enfants turbulents, pour
ne pas dire instables, ne faut-il pas « calmer le jeu » pour qu’il y ait une
intention créative ? Trop d’excitabilité tue le jeu. Les empiétements empêchent
la créativité.
La notion de paradoxe semble indispensable. Mais il
est parfois tellement inconfortable à vivre en séance. Ne pas trop vite donner
du sens, mais le laisser émerger.
L’observation psychomotrice est elle-même
paradoxale, puisque l’on parle de l’autre à partir de ce que l’on voit, ce que
l’on ressent de lui. C’est d’ailleurs parfois en repensant la situation de
rencontre qu’on arrive à en faire une lecture qui était impossible à l’instant
« t ».
La surprise créée par le léger décalage dans la
répétition du même crée de la rencontre (jeu de la petite bête qui monte).
Comment le plaisir pris par la mère ou le thérapeute permet au bébé ou au
patient de supporter l’incertitude, d’éprouver l’attente qui prend forme.
Nous nous sommes séparés avec la date de notre prochain
café psychomot’ qui aura lieu le
mardi 14 janvier 2014.
Sans doute que nos discussions seront à nouveau
plus empreintes de notre clinique pour parler des impasses que certaines de nos
prises en charge nous donnent à vivre. Quand la créativité n’est plus, quand
plus rien ne semble se passer, comment le comprenons-nous, ou pas ?
Comment le supportons-nous ? Qu’en faisons-nous ?
Si l’un d’entre vous souhaite initier le débat à
partir d’une présentation d’un ou deux articles, ou bien de sa propre clinique,
ou tout simplement proposer une lecture de référence sans pour autant la
présenter lui-même… Il vous suffit de contacter Odile Gaucher et Natacha Vignon
sur arrcplyon@gmail.com
pour nous faire vos propositions d’ici le 8 décembre… Nous comptons sur les
lumières pour nous éclairer !