Un aperçu du Café Psychomot' du mardi 11 Octobre 2016
C'est
sur la mezzanine du Macanudo qu'Emmanuelle Blanc et moi nous sommes essayées à
un jeu de question-réponse pour ce premier café psychomot' de la saison.
A partir de la lecture d'un texte
qu'elle avait rédigé à l'occasion d'une journée de réflexion « L'artiste dedans, dehors » à l'hôpital de
Saint Jean de Dieu, Emmanuelle nous présente son travail, avec Alexandre
Roccoli danseur et chorégraphe, et deux collègues (infirmière et éducatrice
spécialisée) dans un atelier danse, en hôpital de jour pour enfants.
Le
dispositif a été très soutenu, par le médecin chef du pôle de pédopsychiatrie
et la chargée de développement culturel de l’hôpital, ainsi que l'ensemble de
l'équipe de l'hôpital de jour où il s'est déroulé. Un rassemblement « sans
faille » nous dit Emmanuelle.
Entre
réflexion sur le projet et le début de l'atelier il s'est écoulé un an.
L'atelier danse aura duré huit mois.
Cinq
enfants dont les indications sont réfléchies en équipe y participent.
L'atelier
a lieu chaque semaine, mais Alexandre n'y est présent qu'une semaine sur deux.
En son absence le groupe se réunit
autour d'un support graphique « révélateur et témoin de ce qui fait trace
de l'expérience avec Alexandre, comme de l'expérience de son absence ».
Le
dehors a été convoqué de différentes manières nous dira
Emmanuelle :
Par
la présence d'Alexandre lorsqu'il était
là.
Et
par l'imaginaire, « la rêverie groupale nous invitait à devenir de grands
voyageurs ; nous survolions l'Europe, nous nous reposions au sommet de la
Tour Eiffel, peut -être pour nous rapprocher de l'absent et de son port
d'attache : Paris. »
Et
par les passages du dedans de l'hôpital, au minibus, conduisant le groupe en
dehors de l'hôpital, moment repéré comme angoissant, effractant pouvant
attaquer dans le fantasme la peau groupale, « un véritable travail de
préparation, d'anticipation, de reprise pour tenter d'accompagner, de contenir
ou de se représenter les mouvements (...) »
Moment
où Emmanuelle nous raconte comment elle a pu sentir l'effroi d'Alexandre
« comme de ses interrogations et des abattements face à cette horde
informe et chaotique que représentait le groupe (…) question latente, exposée,
confrontée et parfois conflictuelle. »
Le
dedans et la métamorphose
Emmanuelle
nous parle des corps des enfants, dans la verticalité trop agitante au début et
d'un nécessaire retour au sol « (...) ils s'y rassemblent, s'y ramassent, au
sens propre comme au sens figuré. Les enfants se
« dé-pensent » ».
Les
improvisations partent de l'expression corporelle des enfants et les adultes
suivent, accompagnent, rejoignent.
Le
groupe évolue et les demandes de portage et d'enveloppement se font sentir
« le groupe réclame à redéfinir ses contours et cela passe par
l'articulation du corps propre au corps groupal. L'atelier devient le lieu
depuis lequel un rapport au monde peut s'amorcer. »
Emmanuelle
nous donne aussi les mots d'un enfant « je sens ma tête attachée à mon
corps ».
Rampés,
ondulations, quatre pattes pour s'ériger et permettre « l'envol des
enfants, surtout dans les bras attracteurs d'Alexandre », les images
motrices, animales, végétales, arrivent dans les mots d'Emmanuelle comme autant
de support à rêver et porter physiquement et psychiquement les enfants «
le corps dansé est un corps vivant, habité, malléable ».
Progressivement
« il devient possible de rêver et de jouer à être « un autre ». Il
devient possible de partager un même espace (...).
Emmanuelle
nous dit aussi combien la médiation du dessin en l'absence d'Alexandre,
« va révéler et figurer toutes ces évocations » et termine la lecture
de son texte par le rendez-vous donné aux parents des enfants à un goûter,
moment désiré par ces derniers et pendant lequel les dessins sont exposés
« telle une fresque qui tapisse les murs et témoigne indirectement de
notre expérience groupale ».
« Les
enfants improvisent, devant cette assemblée, une forme de spectacle, restituant
de façon magistrale ce qui fait trace pour eux »... permettant
l'expression des émotions et mots des parents.
J'ai
écouté avec empathie et envie Emmanuelle. Je la laisse reprendre son souffle et
tranquilliser sa voix, fatiguée depuis deux-trois jours … Sur nos fauteuils,
face à face, nous allons échanger. J'ai avec moi, le texte d'Albert Ciccone sur
la conflictualité des modèles pluridisciplinarité, interdisciplinarité et
transdisciplinarité.
Natacha :
« J'ai eu une image, celle du travail préparatoire à la réalisation du
projet, comme celle d'une gestation et de parents porteurs d'un désir »
Emmanuelle me
répond combien effectivement il y a eu de la transmission, d'abord parce que la
rencontre avec Alexandre est ancienne, parce qu'ils se sont rencontrés dans la
danse. Emmanuelle était danseuse et comédienne avant de devenir
psychomotricienne.
Ils
se sont choisis pour ce projet et Alexandre avait une « curiosité bien
placée pour la psychiatrie »
Ensuite
parce que le médecin chef aime la danse et l'art en général.
Et
que le croisement avec le service culturel de l'hôpital a été soutenant.
Il
fallait probablement que tous ces désirs se rencontrent...
Natacha :
« il y a du mouvement et du déplacement dans ta narration. Les images
motrices sont de cet ordre. »
Emmanuelle
me répond combien effectivement c'était l'objet du travail, se mouvoir, prendre
l'espace et que souvent en l'absence d'Alexandre les enfants tournoyaient,
alors qu'en sa présence il devenait objet attracteur et érecteur.
Elle
se souvient à voix haute, combien le moment du passage jusqu'au minibus avait
fini par se faire en mettant les mots en veille, les enfants avançant de
quelques pas, certains reculant et les adultes faisant de même, pour que puisse
s’ajuster, dans le chaos du départ, une direction commune.
Natacha :
« quel regard portait Alexandre, le danseur, sur les corps
dansants ?»
Emmanuelle
parle de cet enfant « le petit derviche tourneur » qui fascinait
Alexandre et son regard sur le mouvement. Il inquiétait Emmanuelle et ses
collègues quant à l'enfermement dans lequel elles avaient l'impression que cet
enfant se mettait.
Natacha :
« cela me fait penser à vos places différenciées, à ce que tu nommes de
l'effroi d'Alexandre et les moments de conflictualité entre vous et à ce
qu'Albert Ciccone écrit dans son article sur la transdisciplinarité qui
contient une conflictualité créatrice, qui protège du risque de fourvoiement
dans l'omnipotence idéologique »
Emmanuelle
me répond que les conflits, les positions et regards différents ont toujours pu
être parlés entre eux et qu'Alexandre avait la place de celui qui pouvait
s'écarter, s'éloigner.
C'est
aussi de cette place qu'il pouvait par exemple dire que certaines attitudes, se
voulant éducatives ou
thérapeutiques, pouvaient lui faire
violence.
Mais
surtout que sa liberté et sa spontanéité donnaient aussi de l'air, de la
respiration aux mouvements internes qui traversaient chacun.
Emmanuelle
parle de Fernado Pessoa « Le livre de l'intranquillité » qui la porte
beaucoup et qu'elle a amené ici avec elle.
Natacha :
Ciccone parle dans la transdisciplinarité « d'une position d'humilité, de
doute, une mise en suspens du savoir ». Peut-être sans vous perdre, il y
avait suffisamment de même entre vous (la pâte commune de la danse), pour que
vous puissiez chacun lâcher votre « technicité »...
Emmanuelle
dit que peut-être cela peut sembler idéal, mais que ça l'a été et que deux ans
après, c'est aussi comme cela qu'elle se souvient de ce travail de partage,
tout comme des trajets quand elle ramenait Alexandre à son train après le
groupe : un espace-temps pour se parler de l'atelier, mais aussi d'autres
choses...
Un
trajet pour se décoller et se différencier aussi…
Mon
interview aurait pu durer des heures mais il est aussi temps d'écouter les
autres psychomotriciens présents et leurs réflexions.
Odile
évoque des images de rêve, de magma et de chaos, « les vers de
terre ». Elle interroge aussi la temporalité et l'alternance entre les
temps de séances et les temps de dessin, comme le temps de reprise, de représentation.
Emmanuelle
rappelle que ce postulat de départ a dû
être pensé d'emblée car il était directement lié au réel et au budget ne
permettant pas la présence d'Alexandre toutes les semaines.
Pour
elle, ça a opéré un véritable travail sur la séparation et la perte sans fracas
car l'entre-deux, la rythmicité était un moment d'attente pour les enfants. Il
a aussi fallu mettre en corps autour du dessin...
Cécile
nous rappelle que l'artiste qui vient de l’extérieur, vient toujours
questionner et interroger, aérer.
La
transdisciplinarité qui convoque l'extérieur proposerait peut-être aussi l'aire
de jeu et le squiggle se demande Emmanuelle.
Denis
pose un « c'est l'enfer ce groupe au début », un boxon qui rate et
qui vient en contrepoids de la
créativité amené par les adultes et que celui qui vient de l'extérieur c'est
celui qui vient pointer les endroits où ça va pas.
Emmanuelle
se rappelle alors qu'à partir du moment où Alexandre dit la violence que cela
lui fait, elle propose que les mots se fassent silencieux.
Martin,
lui, reprend la question de la gestation et d'une position paternelle en
interrogeant Emmanuelle sur ce qu'Alexandre venait chercher en étant là.
Il
était en train de chercher le « playing » et la co-construction. Il y
a eu à reparler d'un mouvement qui vient de soi.
Mathieu,
dit que lui pourrait peut-être vivre la rencontre avec le chaos en allant voir
un spectacle de danse contemporaine ! Il associe avec le travail de
passeur et de conteur d'Emmanuelle qui permet à Alexandre de rentrer dans ce
monde de fou.
Nous
parlons aussi de la notion de culture et comment l'institution a un projet
qu'elle construit, où il y a du commun, du solide et du sens.
Lila
rappelle la naïveté du danseur qui lui permet d'oser.
Emmanuelle
dit aussi « se laisser impressionner par l'autre ».
Stéphanie
se demande si ça n'est pas le lâcher-prise qui permet justement de lâcher la
toute-puissance et l'idéal du bon danseur, du bon thérapeute.
Emmanuelle
nous parle pour terminer, de l'après groupe et des enfants qui ont questionné
un an encore après ce travail, une
manière de re-vivre l'expérience ? (Alexandre a d'ailleurs donné des
nouvelles et puis il y avait les images filmées par lui de manière
transgressive!).
Et
pour finir un extrait de « Pina Bausch, histoires de théâtre dansé »
« Une
plainte d'amour. Se souvenir, se mouvoir, se toucher. Adopter des attitudes. Se
dévêtir, se faire face, déraper sur le corps de l'autre. Chercher ce qui est
perdu, la proximité. Ne savoir que faire pour se plaire. Courir vers les murs,
s'y jeter, s'y heurter. S'effondrer et se relever. Reproduire ce qu'on a vu.
S'en tenir à des modèles. Vouloir blesser. Protéger. Mettre de côté les
obstacles. Donner aux gens de l'espace. Aimer »
Raimund
Hoghe/Ulli Weiss Edition de L'Arche, 2014.
Références
données par Emmanuelle :
Fernando
Pessoa « Le livre de l'intranquillité.
Paroles
de praticiens en institution, Cliniques Nr 3 « Les enjeux de la pluridisciplinarité »,
Edition Erès.
Natacha
Vignon pour l'ARRCP
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