Un aperçu du Café Psychomot' du mardi 31 janvier 2017
Avec beaucoup de générosité elles ont partagé avec nous le
travail qui les réunit dans un groupe thérapeutique accueillant deux patientes,
Julie et Marion, sœurs jumelles, et toutes deux atteintes du syndrome de Pitt
Hopkins. Du fait de leur maladie, Marion et Julie ont des mouvements répétés de
la main et de la bouche ; elles enfoncent profondément leur main dans leur
bouche et ont des stéréotypies.
Elise et Lison nous racontent la naissance de leur groupe,
son installation dans la continuité, et termine leur présentation en
s’interrogeant sur la fin de la prise en charge. Cette narration à deux voix
nous est très sensible, nous laissant éprouver toute l’énergie qui les anime,
mais aussi leurs hésitations dans une complémentarité transdisciplinaire
indéniable : chacune soutient l’autre pour mener à bien un projet ô
combien humain : favoriser la rencontre entre ces deux sœurs jumelles.
Marion et Julie sont décrites comme « baveuses » du
fait de leur syndrome. Dans l’institution, les réactions de rejet à leur égard
sont nombreuses. Comment les aider à s’ouvrir mieux à la relation à l’autre et
à leur relation gémellaire ? Par ce projet, il s’agit bien de faire le
pari de pouvoir les considérer autrement que repoussantes, dans le lieu
privilégié du groupe qui se déroule dans la salle Snoezelen. Lison accepte le projet d’Elise à une
condition : « nous porterons des blouses ».
Les premières séances sont morbides, « pleines de
vides » nous dit Lison. Aidées des différents supports présents dans la
salle, les mouvements de rencontre qu’Elise et Lison propose aux deux jumelles
font « flop »… Mais tout de même, l’observation des thérapeutes
distingue bien les deux sœurs : Marion est plus mobile, plus actrice,
alors que Julie se love dans le canapé avec ou sans thérapeute qui se sent vite
objéifié, tel un coussin.
Puis vient le jour où Lison chante une berceuse. Et là il y a
de l’apaisement. La voix crée un climat de rencontre plus serein pour Julie et
Marion et la recherche des paroles des chansons rasssemble aussi Elise et Lison.
Mieux que tous les jeux de lumière, c’est le chant qui fait médiation. Et Julie
et Marion de se regarder. Et Elise et Lison de « presque en pleurer », avec le souvenir de la scène
qui fait encore briller leurs yeux.
Dans cette deuxième phase du groupe où il prend corps, les
rôles de chacune se structurent aussi : Lison et Elise choisissent de
s’alterner dans leur rôle chaque semaine, l’une étant plus animatrice de la
relation et l’autre observatrice.
Le groupe progresse dans une temporalité qui s’installe.
Jusqu’à quand ?
Lison et Elise n’ont plus besoin de blouses. Lison évoque
dans sa présentation la peur de la contagion décrite par S. K. Sausse. La
relation, en s’humanisant, devient de moins en moins repoussante et baveuse, et
les blouses moins nécessaires.
Pour penser ce groupe et pour préparer ce café, Lison lit le
collectif dirigé par Monique Perrier-Genas et Jocelyne Huguet-Manoukian. Elle
nous dit comment cette lecture lui a fait du bien, en renforçant ses croyances
quant à la transdisciplinarité alors que celle-ci n’est pas du tout portée par
la MAS dans laquelle elle travaille. Pouvoir lire chacun des professionnels de
l’équipe du CAMSP de Vienne lui a été d’une grande richesse. Lison cite, entre
autre, Jocelyne Roux-Levrat parlant de la transdisciplinarité comme d’un
vecteur qui fait avancer avec cette « conviction éthique de foi en
l’humain ».
Pour penser ce groupe Elise s’appuie sur A. Ciccone pour
travailler le miroir, la gémellité et la parentalité psychique, mais encore sur
R. Kaës et E. Enriquez pour survivre à la défaillance institutionnelle dans
laquelle il vaut mieux garder secret un travail de qualité pour le protéger… « Le
groupe est un pied de nez à la vie institutionnelle », nous dit Elise.
Mais surtout Lison et Elise compte l’une sur l’autre, dans
une confiance qui aide à être avec l’autre et à penser le lien relationnel, à
rester vivant.
Après la présentation clinique et vivante de Lison et Elise
le débat s’en suit et nous permet d’apprendre plus encore sur la valeur de leur
travail. Les Aides Médico-Psychologiques (AMP) utilisent maintenant des comptines
pour apaiser Marion et Julie qui semblent se rencontrer dans d’autres moments
de leurs journées… Les AMP évoluent dans le regard qu’elles portent sur Marion
et Julie. Donc même si le groupe n’est pas soutenu par la direction de l’institution, la
transdisciplinarité s’ouvre, par effet de ricochets, aux autres partenaires du
soin. Ce sont souvent de petites choses qui sont ô combien précieuses. Merci à
Lison et Elise de nous le rappeler.
Le débat nous permet de réfléchir au rôle de l’observateur.
Cécile nous dit comment dans un travail individuel difficile,
elle a pu demander à sa collègue psychologue de la soutenir en tant qu’observatrice,
dans une présence vivante et regardante, avant-même de parler de la scène
observée. Elle soulève la dualité fascination/dégout et associe avec les deux
visages de la figure du monstre.
Martin pense que l’observation permet aussi la narration,
dans l’après-coup de la séance au thérapeute qui en était animateur. Ce à quoi
je rajoute que, particulièrement dans le soin des adolescents, il est très
riche que l’observateur fasse la narration de la séance au groupe avant qu’il
ne se sépare. Il amène la place de l’intersubjectif comme lutte créative contre
le « faire » et questionne sur comment faire vivre et transpirer ce
groupe dans l’institution.
Pascale revient sur la
médiation de la comptine qui a pu réunir thérapeutes et jumelles. Pour
elle, la comptine parle de la présence à l’archaïsme de chacune, tout en venant entremêler les capacités
professionnelles de la psychomotricienne et de la psychologue, à savoir l’expression
corporelle et l’expression verbale. Cela lui fait penser au dispositif de la
pataugeoire.
Denis ressent comment passer par la comptine a introduit de
la temporalité et parle de la transmodalité dans ce soin (le même chez l’autre
dans le registre du sensoriel).
Emmanuelle revient sur l’implication
« parentale » du thérapeute et la transdisciplinarité qui peut
amener à être surpris et s’étonner.
Mathieu amène la question du regard et se demande si ce qui
gêne la transdisciplinarité serait de pouvoir accepter d’être regardé. Il note
le regard très présent entre Lison et Elise, mais l’absence de regard de
l’institution.
Face à la déroute institutionnelle, le secret peut parfois protéger. Natacha rappelle aussi le risque
de l’attaque envieuse par les autres de l’institution, et Denis notre désir d’être
reconnu mais aussi d’être oublié dans nos institutions.
Nous terminons ce débat sur la fin des soins. Martin nous dit comment il s’appuie sur
l’indication pour penser la fin des soins. Mais dans certaines institutions,
les indications ne sont pas toujours explicites…
Merci encore à Lison et
Elise pour avoir partagé autant avec nous en nous permettant de rediscuter des
essentiels de notre travail thérapeutique.
Odile Gaucher
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