Un aperçu du Café Psychomot' du 09 avril 2019
Pour ce
dernier café de la saison sur le féminin en psychomotricité, nous nous
retrouvons au café de la cloche autour de Lucie Thomas qui s'est
proposée de nous parler de sa pratique auprès de personnes présentant des
troubles des conduites alimentaires.
Lucie
propose de s'appuyer sur ses expériences passées à la clinique Saint Vincent de
Paul à Lyon et au centre de référence des troubles des conduites alimentaires
de Grenoble.
A la clinique Saint Vincent de
Paul où elle était en stage de 3ème année ( stage en référence avec Sabine
Fritis Arcaya), Lucie a mis en place deux groupes : un groupe « Confiance et détente » et un groupe
« Expression corporelle » . Elle a aussi pu suivre des patientes en
individuel.
Différentes questions sont survenues: que représente la nourriture
dans la vie de ces jeunes femmes, souvent sur un versant anorexique et âgées de
15 à 25 ans ? Qui sont elles, elles qui se questionnent sur la normalité
de manger ou d'avoir faim ?
Quand elle a pu les observer manger, Lucie
nous raconte combien elle a été frappée par la perte de sens qu'elles peuvent
ressentir dans l'acte de se nourrir.
Cela l'a fait associer sur leur conscience du corps, leur schéma corporel, leur
perception de l'espace et aussi sur leur perception de l’intérêt de se nourrir.
Le premier groupe qui était alors
proposé aux jeunes femmes hospitalisées était celui de la conscience corporelle
et de la détente afin de rassurer leurs angoisses et de créer un espace dans
lequel elles puissent être autre chose que douleur. Ce groupe leur permettait de redécouvrir leur
corps par des propositions assez neutres et factuelles, mettant à distance le
pulsionnel , par exemple l'utilisation d'un squelette pour retravailler le
schéma corporel de façon didactique, remettre du concret et du théorique pour
aller au delà de toutes les idées fausses qu'elles pouvaient avoir. Lucie
travaillait par le biais d’expériences pratiques (percussions osseuses,
statues, travail sur les schèmes moteurs) pour que ces femmes puissent se
réapproprier leur corps et reproduire ces exercices une fois seules. Lucie nous
indique que selon elle ce travail sur le corps réel a aussi pour fonction une
remise en route corporelle par l'apaisement de l'imaginaire foisonnant. La
sensorialité prend une place fondamentale dans l'approche de Lucie qui observe
combien les sensations digestives sont inquiétantes et insupportables.
Dans sa
manière d'être Lucie montre, commente, mais ne surveille pas. Elle associe avec
nous sur le rôle de l'appareil psychique parental.
Pour le
cadre spatial de ce groupe, Lucie avait repris une disposition expérimentée
dans un autre lieu de stage (groupe de femmes incarcérées) : des coussins disposés en cercle pour créer un
espace chaleureux et contenant auquel elle avait ajouté un gros ballon. Elles
commençaient aussi leur groupe en se racontant un élément positif et un élément
négatif de leur semaine. Pour le versant relaxation de ce groupe, Lucie s'est
beaucoup appuyée sur la relaxation BERGES très appréciée par les patientes.
Lucie proposait dans un second
temps un groupe d'expression corporelle en appui sur le mime et le théâtre dans
lequel elle incitait les jeunes femmes à se rassurer sur le fait que même en
étant adulte il est possible de s'amuser. En utilisant la danse, les échanges
toniques avec les bâtons et la défense du territoire permettant de mobiliser
l'agressivité et de sentir le muscle autrement, les patientes pouvaient
éprouver le lâcher prise et entrer dans un processus de re-narcissisation. Ce
groupe permettait aussi de remettre du sens et de la structuration des
mouvements chez ces jeunes femmes. Lucie, qui aura beaucoup utilisé son
imagination et ses images internes dans cette expérience, nous livre celle
qu'elle avait en voyant ces jeunes femmes : « les biches dans le parc » .
Le travail
sur le jeu, les improvisations activaient aussi les processus de symbolisation,
d'accès à l'image et à la créativité.
Lucie nous parle ensuite d'un groupe qu'elle
animait au centre de référence des troubles des conduites alimentaires à
Grenoble qui accueillait des femmes d'âge plutôt mur dont la symptomatologie se
situait plutôt sur un versant boulimique. Dans ce groupe, les femmes
accueillies pouvaient parler de leur féminité, de tous les rôles qu'elles
devaient tenir (mères, femmes, professionnelles, filles...) et pour lesquels on
attend d'elles qu'elles soient parfaites. Elles parlaient aussi du fait de ne
plus avoir aucun moment pour elles. Dans ce groupe, elles pouvaient faire
l'expérience de se faire du bien elles
mêmes, sans que cela ne vienne forcément de l'autre. Le cadre contenant du
groupe leur permettait de lâcher prise et de lâcher un peu de leur maîtrise.
Lucie croise son regard aux nôtres
par plusieurs vignettes cliniques en commençant par le cas d'un jeune homme
anorexique qui avait peur de grossir mais surtout qui ne supportait pas la
sensation de manger. Il éprouvait de la panique à chaque fois qu'il ressentait
son ventre. Il avait très peur de devoir quitter en urgence la salle dans
laquelle il se trouvait (notamment la salle de cour). Ces craintes, liées aux
sensations, sont très fréquentes chez les personnes anorexiques. Lucie a pu
faire l'hypothèse que peut être les sensations éprouvées par ces personnes lors
de l'enfance, n'ont pas été détoxifiées par la mise en mot parentale.
L'expérience du groupe permet de mettre des mots sur les sensations.
Elle évoque ensuite le cas d'une
femme âgée de 30 ans, petite et maigre, s'habillant en taille enfant, très fermée et qui collait au discours
qu'elle entendait. Le groupe d'expression corporelle et notamment
l'improvisation lui a permis de s'ouvrir. Elle souhaitait « faire le bébé
en colère », criait, hurlait et tapait des pieds. Cette approche
régressive et ludique lui a permis de dire comment elle se ressentait et où
elle se situait réellement.
Lucie nous parle ensuite d'une
jeune femme qu'elle décrit comme unisexe et vaporeuse. Persécutée par le regard,
le début du suivi s'est donc fait dos à dos. Elles ont travaillé ensemble
autour de l'enroulement. Lucie associe avec l'image du corps fœtale de
DOLTO. Elles ont pu petit à petit
travailler côte à côte puis face à face par le biais d'objet. La jeune femme se
décolle de Lucie, s'individualise, elle commence à se maquiller, elle parle
d'elle puis devient boulimique et interrompt les séances. On repense alors à
Barbara, la patiente de l'article de
Claire Bertin donné en lecture "Se former - Se déformer - Se
transformer, rencontre avec Barbara une adolescente boulimique", publié
dans la revue THERAPIE PSYCHOMOTRICE et recherches n°171-2012.
Tout le long de sa présentation, Lucie nous fera sentir la force des
images qui l'ont traversé dans ces rencontres cliniques et qui permettaient de
maintenir la capacité de rêverie ( images de couleurs : la patiente grise,
de matière ou de perception : vaporeuse etc...)
Natacha ouvre ensuite la
discussion en remerciant Lucie pour sa présentation et ses récits cliniques
très concrets et dans lesquels il n'y a pas l'omniprésence de la mère. C'était
une présentation concrète où l'on ramène le corps dans le réel en faisant
« taire » le fantasmatique autour de ces patientes.
Emmanuelle nous donne son point de
vue sur les TCA comme un symptôme mais de quelle cause sous-jacente ? Elle
questionne la psychose en sous terrain chez grand nombre de jeunes femmes.
Lucie rebondit en disant qu'effectivement l'atteinte de l'image corporelle est
quasi psychotique, il y a quelques chose de délirant dans la dysmorphophobie.
Dans ces
pathologies, le corps ne parle que par le trouble, il est extrêmement présent
dans les sensations et les pensées mais tellement présent et envahissant qu'il
est annulé par le trouble. Pour ces femmes, le corps est désincarné, vécu par
petits bouts et elles peuvent se focaliser sur un détail. La dénutrition
entraîne une perte de sensations, elle crée des dommages cérébraux, des
douleurs, des sensations de froid mais « au moins » il n'y a plus que
ces sensations et rien d'autre. Lucie nous rapporte que dans le centre de
référence de Grenoble, le TCA était vraiment perçu comme un symptôme qui se
cristallise autour du corps. Il était dit aux patientes que ça s'apparentait à
une addiction.
Mélanie nous
interroge sur le lien entre la culture et les pathologies qui se développent. Y
a t-il des cultures qui ont plus de cas d'anorexie ? Elle trouve le cas du
jeune homme intéressant car il montre bien que la question du féminin ne se
retrouve pas uniquement chez les femmes, il est aussi présent chez les hommes.
Le groupe s'accorde à dire qu'il n'y a pas d'anorexie là où il y a de la
famine. Natacha nous dit que dans les sociétés occidentales, la femme doit
ressembler aux photos des médias. L'idéal du corps est très différent dans les
différentes cultures et la question du regard est primordial. Le corps
représentant ce que l'on est à l'intérieur, les personnes ayant des TCA ont
besoin d'être transparentes, invisibles et vivent un sentiment de honte et de culpabilité
intense.
Denis nous
interroge sur les TCA comme des troubles narcissiques. Les questions de
pulsionnalité et de sexualité changeraient de lieu, ce qui s'exprimait avant
par l'hystérie se déplace peut être ailleurs maintenant, notamment dans les troubles
addictifs ? Lucie nous parle des castrations symboligènes de DOLTO qui
seraient des digues ou des barrages pour canaliser les pulsions. La question de
la pulsionnalité est centrale dans l'anorexie, peut-être s'interdisent-elles
toute pulsion pour ne pas que ça déborde ?
Denis nous
amène à nous questionner sur le besoin que nous avons avec ces patientes de
faire retour au corps asexué comme une illusion partagée pour que le corps
puisse se sexualiser par la suite.
Les groupes
proposées par Lucie permettent aux jeunes femmes de faire groupe mais également
de faire corps (groupal et individuellement) et travaille sur la dialectique
individu/groupe
Natacha
fait le lien avec l'article donné en lecture où l'auteure nous explique que le
corps de sa patiente n'a pu exister qu'en reprenant certaines étapes :
prendre place dans l'espace pour ensuite exister dans le miroir de la fenêtre
et exister dans le regard de la psychomotricienne.
Emmanuelle
questionne Lucie sur la temporalité de ses accompagnements. Les groupes ont eu
lieu sur quatre séances et renouvelables
une fois. Les jeunes femmes étaient hospitalisées 6 à 8 mois et Lucie ne les
rencontrait qu'au bout d'un mois, un mois et demi.
Martin nous
interroge sur le trouble de base ; on est bien d'accord que les TCA sont
des expressions d'un trouble mais qui prend en charge le trouble de base et
comment celui-ci peut avoir un impact dans ce que l'on peut proposer à ces
jeunes femmes ? Les TCA sont généralement significatifs d'un trouble de
l'identification, de la construction identitaire dont l'expression est
partiellement psychomotrice. Lucie nous explique que dans le centre de
Grenoble, les médecins s'intéressent à la quantité du trouble mais surtout aux
troubles associés (psychose, troubles de l'attention, autisme, bipolarité...).
Un grand
merci à Lucie pour s'être proposée spontanément pour intervenir dans notre café
et montrer que nos cafés sont un lieu d'ouverture à la présentation, à la
réflexion pour chacun-e de nos collègues.
Merci à toutes et tous pour votre
participation nombreuse à cette saison riche autour de la question du féminin
en psychomotricité. Nous vous souhaitons un bel été (un peu en avance) et nous
vous tiendrons informé-e-s de nos réflexions et pistes de travail pour la saison
à venir.
Pour
l'ARRCP,
Natacha
Vignon et Lison Gilardot.
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