L'Association de Réflexion et de Recherche Clinique en Psychomotricité de Lyon et sa Région vise à promouvoir la recherche clinique en psychomotricité par divers moyens notamment : l’organisation de séminaires, colloques, groupes de réflexion. Soutenir des projets individuels ou collectifs de recherche sur la clinique psychomotrice, favoriser et/ou rechercher la collaboration avec des structures à même d’apporter une contribution directe ou indirecte au but poursuivi par l’association et tout particulièrement avec l’Institut de Formation en Psychomotricité de Lyon.
Elle s’adresse à tout psychomotricien désireux d’engager un travail d’approfondissement théorico-clinique, quel que soit son champ d’exercice professionnel ou son référentiel théorique et clinique.
Susciter les échanges, favoriser le débat entre psychomotriciens, soutenir la réflexion et la recherche à propos de la pratique, telles sont les ambitions de l’ARRCP Lyon et région. Dans cet objectif, l’association mise sur l’engagement de ses membres dans une démarche qui consiste à se confronter aux difficultés et aux doutes rencontrés dans la clinique, à approfondir ses intuitions cliniques, à les arrimer à des concepts théoriques, à transmettre et discuter les résultats de ses travaux.

lundi 4 mai 2020

Un aperçu du Café Psychomot' du 18 février 2020



Après le 1er café autour du bilan psychomoteur, nous avions envie d’aller voir du côté des cliniques n’entrant pas dans les cotations. C’est pourquoi nous souhaitions entendre une psychomotricienne à la pratique singulière. Cécile MOTTET travaille dans un centre de rééducation fonctionnelle accueillant des enfants traumatisés crâniens ainsi que des enfants grands brûlés de 0 à 18 ans. La structure était initialement installée avec le service adulte et imprégnée d’une culture de soin ancienne de 20 ans. Après un déménagement, le nombre de kinésithérapeutes a réduit laissant une place plus grande aux psychomotriciens et aux neuropsychologues. Si Cécile et sa collègue psychomotricienne sont bien installées dans le service de neurologie, elles estiment que leurs interventions pourraient être plus pertinente dans le service des grands brûlés. De nombreux questionnements émergent à travers leur pratique : comment travailler de manière plus efficace en tant que psychomotricien ? Comment préparer la sortie des patients alors que le rapport au corps et à l’Autre sont encore compliqués ? Pourquoi ne pas intervenir au démarrage de l’histoire de la brûlure/ plus précocement auprès des patients grands brûlés ?
Pour démarrer, Cécile revient sur les lectures qu’elle nous a proposées. A travers le 1er article, sur la pensée-pansement, Cécile voulait nous offrir un aperçu du contexte d’hospitalisation très particulier des personnes brûlées. Elle complète en expliquant que l’hospitalisation a lieu en période de greffe de peau. Le greffon est prélevé sur la peau saine donc plusieurs parties du corps sont concernées au-delà des régions brûlées. Elle ajoute que le travail avec les enfants se poursuit jusqu’à la fin de leur croissance car le greffon grandit. Ainsi, les appareils se combinent et se succèdent, rendant majeure la place de la psychomotricité auprès de ces enfants. Par ailleurs, elle insiste sur la fonction de holding des soignants qui, de par leurs connaissances et leur expérience des personnes brûlées, portent l’enfant et ses parents encore sidérés. Le 2ème article traite de la question de l’image du corps et de son évaluation, venant soutenir le propos que Cécile compte développer ensuite.

Cécile nous rappelle les incidences physiologiques de la brûlure sur la peau. En effet, cette dernière a un rôle majeur : homéostasie, barrière et interface entre le dedans et le dehors, régulation de la température corporelle grâce à la sudation. Quand la peau est brûlée, toutes ces fonctions sont touchées. L’enfant est immobilisé pour limiter les variations de températures puisque la sudation ne se fait pas, étape compliquée pour l’enfant qui reste difficilement raisonnable. Par ailleurs, l’histoire de la brûlure est différente entre l’adulte qui s’immole et l’enfant pour qui l’incident fait rupture dans le quotidien. Quelle que soit son origine, cet événement marque une rupture temporelle dans le quotidien. Par la suite, la temporalité psychique de l’enfant est difficilement respectée lors de l’hospitalisation ainsi qu’au centre de rééducation fonctionnelle. La notion de survie de la peau à tout prix est profondément inscrite dans la culture de soin des brûlés et l’enfant subit la greffe même s’il n’est pas prêt. Par ailleurs, la greffe nécessite des modifications corporelles importantes pour produire des greffons, engendrant des sortes de monstruosités médicales (ballon pour faire croître la peau par exemple).
Cécile rappelle que le monde de la brûlure est violent et qu'il sidère émotionnellement les parents et leur enfant. Ainsi, pour Cécile, le bilan permet de voir comment l’enfant investi ce corps-là, mais également de se rencontrer. Elle cherche à savoir comment il raconte son histoire, celle de son hospitalisation, de ses soins, de sa famille. Ainsi, le bilan n’a pas vocation à coter. De plus, l’appareillage ne permet pas toujours la réalisation des épreuves et les psychomotriciennes ne peuvent pas, et ne veulent pas, le retirer car il fait partie du quotidien. Les psychomotriciennes utilisent le dessin du bonhomme pour se rendre compte d’où se situe l’enfant par rapport à la sensorialité et la différenciation dedans/dehors. Le récit autour du dessin est tout aussi important que le dessin en lui-même. En effet, Cécile nous explique que les enfants brûlés présentent très souvent un imaginaire pauvre mais une très bonne connaissance physiologique du corps. Néanmoins, la sensorialité, les perceptions et la sensori-motricité sont mises à mal. Ainsi, comment évaluer la sensorialité chez des enfants qui ne peuvent pas s’appuyer sur leur sens et notamment la vue et l’odorat ? Quel référentiel utiliser pour rendre compte d’un éventuel retard psychomoteur sans notions de la trajectoire développementale de l’enfant avant la brûlure ? Par ailleurs, le retrait de l’appareillage induit des modifications dans la gestuelle et une perte de repères. Cécile rapporte l’exemple d’un enfant qui marche encore de côté une fois l’appareillage retiré. Aussi, l’appareillage peut faire office de carapace protectrice à l’image de ces robots-carapaces dans les mangas japonais.
Pour les enfants de 7 à 18 ans, la sidération émotionnelle est importante et cela se raconte dans les yeux des parents. Souvent les psychomotriciennes sont sollicitées quand cette sidération ne parvient pas à se penser. D’autre part, la question de l’extérieur arrive rapidement quand il faut raconter l’histoire de la brûlure en dehors du centre. Si l’enfant est confronté à des professionnels qui ont une expérience et une habitude des brûlures le regard est différent à l’extérieur du centre. Cela engendre souvent une forte compliance aux soins car les enfants se sentent bien au centre.
Cécile nous présente ensuite une vignette clinique. Les kinésithérapeutes la sollicitent au sujet d’une adolescente brûlée à 60%, principalement sur la partie antérieure du corps. Ils massent à deux, pendant une heure, une adolescente qui semble absente et cela est « étrange ». Cécile vient donc observer ce temps de massage durant lequel les professionnels semblaient masser un mort. A l’issue de ce temps, Cécile débute des séances de psychomotricité. Durant leurs rencontres, l’adolescente ne parvient pas à se raconter à travers le conte de la fourmi. Le dessin du bonhomme est très sommaire. Cécile engage un travail sur les appuis à partir des pieds, parties encore saines. Progressivement, l’adolescente parvient à raconter une histoire et à se penser dans un avenir.
Pour conclure sur son intervention, Cécile partage ses interrogations. Quel serait l’intérêt de coter pour ces enfants ? Pourquoi répertorier les difficultés de l’enfant alors qu’il est encore appareillé ?
Une évaluation globale est réalisée tous les 3 à 6 mois ce qui laisse peu de temps pour faire un bilan psychomoteur ainsi que le compte-rendu. La synthèse est somatique et cherche à savoir si l'enfant est « opérationnel ». Cécile interroge sur l'évolution émotionnelle de l'enfant, sa motricité faciale et ses mimiques : l’enfant a-t-il pu s’imprégner de la gestion et l’expression de ce qu'il vit émotionnellement ? Peut-il se réapproprier ses représentations d’avant et les réutiliser ? Par ailleurs, les enfants sortent toujours appareillés. Il n’est donc pas pertinent d’évaluer et elle n’en a pas l’envie. Selon elle, l’action qu’elle doit mener se situerait plutôt autour de la séparation avec les parents, du vécu corporel autour de la peau, de l’aspect fonctionnel du corps et la possibilité de jouer avec la pensée à défaut de pouvoir jouer avec son corps. Ainsi, l’efficience des coordinations lui importe peu car il s’agit plutôt d’être bien dans son corps alors que la limite, la peau, a brûlé. Car quand la limite brûle c’est presque le dedans qui est attaqué donc le sujet.
Cécile est interrogée sur l’impact du suivi psychomoteur sur la prise en charge en kinésithérapie pour l’adolescente. Cécile rapporte que cette intervention a pu soulager les professionnels qui ont arrêté de parler à tout prix avec la patiente. L’aspect très protocolaire de leur massage les mettait déjà assez en difficulté. Aussi, ils étaient rassurés de savoir que  la patiente disposaient d’un espace où sa sidération émotionnelle était considérée et, pour leur part, leur vécu des séances entendu. Néanmoins, un questionnement demeure pour Cécile concernant la temporalité de son intervention, parfois très tardive. Selon, Pascale, la patiente fait passer un message en se taisant et les kinésithérapeutes le relaient à Cécile. Peut-être qu’une intervention plus précoce n’aurait pas été dans la bonne temporalité pour cette patiente qui reprenait parole. Cécile ajoute que le kinésithérapeute s’attelle à la survie de la peau quand le psychomotricien se préoccupe de ce qui est épargné, ce qui vit encore, pour reconnecter le sujet avec son passé. Cette notion de temporalité fait réagir sur la fonction du miroir présentée dans l’un des articles. Quand venir avec notre miroir pour donner une forme à la représentation du corps ? Selon Cécile, si le miroir n’intervient pas, il est toujours question d’une temporalité pour un corps qui manque de sensation d’unité. Elle complète avec l’image d’un véritable patch-work à assembler, unifier.

Si les soignants sont très humains, le corps du patient est abordé d’une telle façon qu’il fait penser à un corps-robot, devenant objet médical. Denis revient sur cette notion de « corps objet médical » : le corps deviendrait un objet avant d’être « objet médical ». Il questionne : qu'en est-il des représentations antérieures de la peau quand on ne sent ni le dehors, ni le dedans ? Cécile explique que le cerveau prend vite le relais de l’illusion de peau chez l’enfant qui peut dire « je sens ma peau ». Il n’y a pas de phénomène aperceptif, mais cela interroge sur la manière de sentir le contact tactile. Elle donne l’exemple décrit par O. Sach dans un livre sur des personnes ayant perdu la vue : il n’y a pas de perte de représentation visuelle avec la perte du sens de la vision. Ainsi, il s’agirait de continuer à investir, représenter, imaginer, pour que les représentations ne s’éteignent pas, pour éviter le clivage. Il s’agit de remettre en mouvement, en vitalité plutôt que de réparer. Cécile ajoute que les enfants avant 6 ans se réapproprient la motricité, leur mouvement, une fois l'appareillage retiré ?

Natacha relève la problématique des cliniques de niche avec une forme d’impuissance à pouvoir coter. C’est comme si nous cherchions à coter une problématique de l’ordre d’un chaos. Que cherche-t-on à faire quand on rencontre l’autre, petit, dans cette gravité de blessure ? Raphael Vonsensey avait parlé du sensible dans l’observation, est-ce là que nous nous situons ? Cécile évoque le fait que tous les professionnels du centre de rééducation évaluent les pertes. Mais pourquoi coter la désorganisation traumatique ? Selon elle, on ne peut qu’accompagner l’enfant dans ce qu’il vit et œuvrer à une réorganisation. Par ailleurs, elle a l’impression que le bilan déshumanise et elle exprime le besoin que l’enfant puisse se raconter à travers le bilan. Elle ne cote pas mais utilise ses sens de psychomotricienne pour savoir où se situe l’enfant.
De nombreuses questions et remarques émergent autour de la cotation ensuite, son but, le moyen et le référentiel sur lequel se baser pour évaluer, l’enjeu diagnostic. Martin relève que Cécile s’intéresse de prime abord au schéma corporel et à l’image du corps, items dont les tests présentent des biais puisqu’ils s’appuient sur une représentation graphique du corps et non sur le corps réel. D’autre part, si le schéma corporel peut être intégré, l’image du corps peut être défaillante, immature ou morcelée. Est ensuite évoquée l’image du corps comme une manière d’aborder le soi investi dans une dynamique. Dès lors, le bilan aiderait le jeune à se positionner temporellement vis-à-vis de sa vie passée, présente et future.
Selon Martin, il s’agirait surtout de relancer une dynamique là où il n’y a plus d’espace entre les matières constitutives du corps : la peau est collée aux muscles eux-mêmes collés aux os. Cela évoque à Cécile la reprise d’un dialogue dans le corps-à-corps avec sa patiente. Alors que l’adolescente apparaissait comme une statue, elle emploie petit à petit son corps pour communiquer avec Cécile qui se surprend à ne plus parler. Elle conclue en disant qu’il s’agit finalement de la recherche d’un chemin vers un sentiment d’existence. C’est pour cela qu’elle envisage le schéma corporel comme une partie centrale du bilan psychomoteur, rappelant l’idée de C.Paumel selon laquelle le schéma corporel serait au centre de « l’identité psychomotrice du sujet ». Par ailleurs, le schéma corporel possède cet avantage de signer d’une dynamique car il est en perpétuel changement. Cécile cite alors un médecin « Je ne vois qu’une partie du cerveau et vous, les psychomotriciennes, quand je vous écoute, j’ai l’impression que vous vous occupez de tout le cerveau en même temps. Il semblerait que vous êtes dans une dynamique et une remise en mouvement ».

Lors des épreuves, et notamment le conte de la fourmi, le psychomotricien a une idée derrière la tête, il s’attend à voir quelque chose. Le bilan présenterait l'écueil de fractionner à l’excès la vision globale du sujet. Ainsi, en plus d'observer l'investissement des fonctions psychomotrices, il semble important de prendre en considération l'ensemble de la passation et son investissement tant par le sujet observé que par le psychomotricien. Dès lors, il s’agirait plutôt d’établir une grille de lecture pour savoir où se situe l’enfant de manière globale, sans rapport à la norme, mais aussi de voir la manière dont il s’approprie cette grille. Dès lors, le bilan permettrait de se laisser surprendre face à la typologie des patients rencontrés. Le bilan suggère de positionner un zoom là où nous ne pensons pas à regarder et de changer d’angle de vue. Il ouvre parfois à un récit autour de la proposition faite pouvant alors prendre un rôle de médiateur. Si pour certains, ce dernier constitue un outil neutre, car proposé par l’extérieur, pour d’autres, l’engagement corporel et personnel du psychomotricien le rend très subjectif. Par ailleurs, l’observation est éminemment subjective. Toutefois, le bilan semble être un outil qui se façonne au fil des rencontres avec les patients devenant l’occasion d'une création mutuelle.
Si Raphaël Vonsensey défendait la dimension politique du bilan, il reste certain que c’est l’utilisation qu’en fait le psychomotricien qui demeure importante : interpréter et mettre en lien.


Pour l'ARRCP,
Marème DIOP.

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