Un aperçu du Café Psychomot' du 18 février 2020
Après le 1er café autour du bilan psychomoteur, nous
avions envie d’aller voir du côté des cliniques n’entrant pas dans les
cotations. C’est pourquoi nous souhaitions entendre une psychomotricienne à la
pratique singulière. Cécile MOTTET travaille dans un centre de rééducation
fonctionnelle accueillant des enfants traumatisés crâniens ainsi que des
enfants grands brûlés de 0 à 18 ans. La structure était initialement installée
avec le service adulte et imprégnée d’une culture de soin ancienne de 20 ans. Après
un déménagement, le nombre de kinésithérapeutes a réduit laissant une place
plus grande aux psychomotriciens et aux neuropsychologues. Si Cécile et sa
collègue psychomotricienne sont bien installées dans le service de neurologie,
elles estiment que leurs interventions pourraient être plus pertinente dans le
service des grands brûlés. De nombreux questionnements émergent à travers leur
pratique : comment travailler de manière plus efficace en tant que psychomotricien
? Comment préparer la sortie des patients alors que le rapport au corps et à
l’Autre sont encore compliqués ? Pourquoi ne pas intervenir au démarrage
de l’histoire de la brûlure/ plus précocement auprès des patients grands
brûlés ?
Pour démarrer, Cécile revient sur les lectures
qu’elle nous a proposées. A travers le 1er article, sur la
pensée-pansement, Cécile voulait nous offrir un aperçu du contexte
d’hospitalisation très particulier des personnes brûlées. Elle complète en
expliquant que l’hospitalisation a lieu en période de greffe de peau. Le
greffon est prélevé sur la peau saine donc plusieurs parties du corps sont
concernées au-delà des régions brûlées. Elle ajoute que le travail avec les enfants
se poursuit jusqu’à la fin de leur croissance car le greffon grandit. Ainsi,
les appareils se combinent et se succèdent, rendant majeure la place de la
psychomotricité auprès de ces enfants. Par ailleurs, elle insiste sur la
fonction de holding des soignants
qui, de par leurs connaissances et leur expérience des personnes brûlées,
portent l’enfant et ses parents encore sidérés. Le 2ème article
traite de la question de l’image du corps et de son évaluation, venant soutenir
le propos que Cécile compte développer ensuite.
Cécile nous rappelle les incidences physiologiques de la
brûlure sur la peau. En effet, cette dernière a un rôle majeur :
homéostasie, barrière et interface entre le dedans et le dehors, régulation de
la température corporelle grâce à la sudation. Quand la peau est brûlée, toutes
ces fonctions sont touchées. L’enfant est immobilisé pour limiter les
variations de températures puisque la sudation ne se fait pas, étape compliquée
pour l’enfant qui reste difficilement raisonnable. Par ailleurs, l’histoire de
la brûlure est différente entre l’adulte qui s’immole et l’enfant pour qui
l’incident fait rupture dans le quotidien. Quelle que soit son
origine, cet événement marque une rupture temporelle dans le quotidien. Par
la suite, la temporalité psychique de l’enfant est difficilement respectée lors
de l’hospitalisation ainsi qu’au centre de rééducation fonctionnelle. La notion
de survie de la peau à tout prix est profondément inscrite dans la culture de
soin des brûlés et l’enfant subit la greffe même s’il n’est pas prêt. Par
ailleurs, la greffe nécessite des modifications corporelles importantes pour
produire des greffons, engendrant des sortes de monstruosités médicales (ballon
pour faire croître la peau par exemple).
Cécile rappelle que le monde de la brûlure est violent et qu'il
sidère émotionnellement les parents et leur enfant. Ainsi, pour Cécile, le
bilan permet de voir comment l’enfant investi ce corps-là, mais également de se
rencontrer. Elle cherche à savoir comment il raconte son histoire, celle de son
hospitalisation, de ses soins, de sa famille. Ainsi, le bilan n’a pas vocation
à coter. De plus, l’appareillage ne permet pas toujours la réalisation des
épreuves et les psychomotriciennes ne peuvent pas, et ne veulent pas, le
retirer car il fait partie du quotidien. Les psychomotriciennes utilisent le
dessin du bonhomme pour se rendre compte d’où se situe l’enfant par rapport à
la sensorialité et la différenciation dedans/dehors. Le récit autour du dessin
est tout aussi important que le dessin en lui-même. En effet, Cécile nous
explique que les enfants brûlés présentent très souvent un imaginaire pauvre
mais une très bonne connaissance physiologique du corps. Néanmoins, la
sensorialité, les perceptions et la sensori-motricité sont mises à mal. Ainsi,
comment évaluer la sensorialité chez des enfants qui ne peuvent pas s’appuyer
sur leur sens et notamment la vue et l’odorat ? Quel référentiel utiliser
pour rendre compte d’un éventuel retard psychomoteur sans notions de la
trajectoire développementale de l’enfant avant la brûlure ? Par ailleurs,
le retrait de l’appareillage induit des modifications dans la gestuelle et une
perte de repères. Cécile rapporte l’exemple d’un enfant qui marche encore de
côté une fois l’appareillage retiré. Aussi, l’appareillage peut faire office de
carapace protectrice à l’image de ces robots-carapaces dans les mangas
japonais.
Pour les enfants de 7 à 18 ans, la sidération émotionnelle est
importante et cela se raconte dans les yeux des parents. Souvent les
psychomotriciennes sont sollicitées quand cette sidération ne parvient pas à se
penser. D’autre part, la question de l’extérieur arrive rapidement quand il
faut raconter l’histoire de la brûlure en dehors du centre. Si l’enfant est
confronté à des professionnels qui ont une expérience et une habitude des
brûlures le regard est différent à l’extérieur du centre. Cela engendre souvent
une forte compliance aux soins car les enfants se sentent bien au centre.
Cécile nous présente ensuite une vignette clinique. Les
kinésithérapeutes la sollicitent au sujet d’une adolescente brûlée à
60%, principalement sur la partie antérieure du corps. Ils massent à deux,
pendant une heure, une adolescente qui semble absente et cela est
« étrange ». Cécile vient donc
observer ce temps de massage durant lequel les professionnels semblaient masser
un mort. A l’issue de ce temps, Cécile débute des séances de psychomotricité.
Durant leurs rencontres, l’adolescente ne parvient pas à se raconter à travers
le conte de la fourmi. Le dessin du bonhomme est très sommaire. Cécile engage
un travail sur les appuis à partir des pieds, parties encore saines.
Progressivement, l’adolescente parvient à raconter une histoire et à se penser
dans un avenir.
Pour conclure sur son intervention, Cécile partage ses
interrogations. Quel serait l’intérêt de coter pour ces enfants ? Pourquoi
répertorier les difficultés de l’enfant alors qu’il est encore
appareillé ?
Une évaluation globale est réalisée tous les 3 à 6 mois ce qui
laisse peu de temps pour faire un bilan psychomoteur ainsi que le compte-rendu.
La synthèse est somatique et cherche à savoir si l'enfant est
« opérationnel ». Cécile interroge sur l'évolution émotionnelle de
l'enfant, sa motricité faciale et ses mimiques : l’enfant a-t-il pu s’imprégner
de la gestion et l’expression de ce qu'il vit émotionnellement ? Peut-il
se réapproprier ses représentations d’avant et les réutiliser ? Par ailleurs, les enfants sortent toujours appareillés. Il
n’est donc pas pertinent d’évaluer et elle n’en a pas l’envie. Selon elle,
l’action qu’elle doit mener se situerait plutôt autour de la séparation avec
les parents, du vécu corporel autour de la peau, de l’aspect fonctionnel du
corps et la possibilité de jouer avec la pensée à défaut de pouvoir jouer avec
son corps. Ainsi, l’efficience des coordinations lui importe peu car il s’agit
plutôt d’être bien dans son corps alors que la limite, la peau, a brûlé. Car
quand la limite brûle c’est presque le dedans qui est attaqué donc le sujet.
Cécile est interrogée sur l’impact du
suivi psychomoteur sur la prise en charge en kinésithérapie pour l’adolescente.
Cécile rapporte que cette intervention a pu soulager les professionnels qui ont
arrêté de parler à tout prix avec la patiente. L’aspect très protocolaire de
leur massage les mettait déjà assez en difficulté. Aussi, ils étaient rassurés
de savoir que la patiente disposaient
d’un espace où sa sidération émotionnelle était considérée et, pour leur part,
leur vécu des séances entendu. Néanmoins, un questionnement demeure pour Cécile
concernant la temporalité de son intervention, parfois très tardive. Selon,
Pascale, la patiente fait passer un message en se taisant et les
kinésithérapeutes le relaient à Cécile. Peut-être qu’une intervention plus
précoce n’aurait pas été dans la bonne temporalité pour cette patiente qui
reprenait parole. Cécile ajoute que le kinésithérapeute s’attelle à la survie
de la peau quand le psychomotricien se préoccupe de ce qui est épargné, ce qui
vit encore, pour reconnecter le sujet avec son passé. Cette notion de
temporalité fait réagir sur la fonction du miroir présentée dans l’un des
articles. Quand venir avec notre miroir pour donner une forme à la
représentation du corps ? Selon Cécile, si le miroir n’intervient pas, il
est toujours question d’une temporalité pour un corps qui manque de sensation d’unité.
Elle complète avec l’image d’un véritable patch-work
à assembler, unifier.
Si les soignants sont très humains, le
corps du patient est abordé d’une telle façon qu’il fait penser à un
corps-robot, devenant objet médical. Denis revient sur cette notion de
« corps objet médical » : le corps deviendrait un objet avant
d’être « objet médical ». Il questionne : qu'en est-il des représentations antérieures de la peau
quand on ne sent ni le dehors, ni le dedans ?
Cécile explique que le cerveau prend vite le relais de l’illusion de peau chez
l’enfant qui peut dire « je sens ma peau ». Il n’y a pas de phénomène
aperceptif, mais cela interroge sur la manière de sentir le contact tactile.
Elle donne l’exemple décrit par O. Sach dans un livre sur des personnes ayant perdu
la vue : il n’y a pas de perte de représentation visuelle avec la perte du
sens de la vision. Ainsi, il s’agirait de continuer à investir, représenter,
imaginer, pour que les représentations ne s’éteignent pas, pour éviter le
clivage. Il s’agit de remettre en mouvement, en vitalité plutôt que de réparer.
Cécile ajoute que les enfants avant 6 ans se réapproprient la motricité, leur
mouvement, une fois l'appareillage retiré ?
Natacha relève la
problématique des cliniques de niche avec une forme d’impuissance à pouvoir
coter. C’est comme si nous cherchions à coter une problématique de l’ordre d’un
chaos. Que cherche-t-on à faire quand on rencontre l’autre, petit, dans cette
gravité de blessure ? Raphael Vonsensey avait parlé du sensible dans l’observation,
est-ce là que nous nous situons ? Cécile évoque le fait que tous les
professionnels du centre de rééducation évaluent les pertes. Mais pourquoi
coter la désorganisation traumatique ? Selon elle, on ne peut qu’accompagner
l’enfant dans ce qu’il vit et œuvrer à une réorganisation. Par ailleurs, elle a
l’impression que le bilan déshumanise et elle exprime le besoin que l’enfant
puisse se raconter à travers le bilan. Elle ne cote pas mais utilise ses sens
de psychomotricienne pour savoir où se situe l’enfant.
De nombreuses questions et remarques émergent autour de la
cotation ensuite, son but, le moyen et le référentiel sur lequel se baser pour
évaluer, l’enjeu diagnostic. Martin relève que Cécile s’intéresse de prime
abord au schéma corporel et à l’image du corps, items dont les tests présentent
des biais puisqu’ils s’appuient sur une représentation graphique du corps et
non sur le corps réel. D’autre part, si le schéma corporel peut être intégré,
l’image du corps peut être défaillante, immature ou morcelée. Est ensuite
évoquée l’image du corps comme une manière d’aborder le soi investi dans une
dynamique. Dès lors, le bilan aiderait le jeune à se positionner temporellement
vis-à-vis de sa vie passée, présente et future.
Selon Martin, il s’agirait surtout de relancer
une dynamique là où il n’y a plus d’espace entre les matières constitutives du
corps : la peau est collée aux muscles eux-mêmes collés aux os. Cela
évoque à Cécile la reprise d’un dialogue dans le corps-à-corps avec sa
patiente. Alors que l’adolescente apparaissait comme une statue, elle emploie
petit à petit son corps pour communiquer avec Cécile qui se surprend à ne plus
parler. Elle conclue en disant qu’il s’agit finalement de la recherche d’un
chemin vers un sentiment d’existence. C’est pour cela qu’elle envisage le
schéma corporel comme une partie centrale du bilan psychomoteur, rappelant
l’idée de C.Paumel selon laquelle le schéma corporel serait au centre de
« l’identité psychomotrice du sujet ». Par ailleurs, le schéma
corporel possède cet avantage de signer d’une dynamique car il est en perpétuel
changement. Cécile cite alors un médecin « Je ne vois qu’une partie du
cerveau et vous, les psychomotriciennes, quand je vous écoute, j’ai
l’impression que vous vous occupez de tout le cerveau en même temps. Il
semblerait que vous êtes dans une dynamique et une remise en mouvement ».
Lors des épreuves, et notamment le conte
de la fourmi, le psychomotricien a une idée derrière la tête, il s’attend à
voir quelque chose. Le bilan présenterait l'écueil de fractionner à l’excès la
vision globale du sujet. Ainsi, en plus d'observer
l'investissement des fonctions psychomotrices, il semble important de prendre
en considération l'ensemble de la passation et son investissement tant par le
sujet observé que par le psychomotricien. Dès lors, il s’agirait plutôt
d’établir une grille de lecture pour savoir où se situe l’enfant de manière
globale, sans rapport à la norme, mais aussi de voir la manière dont il
s’approprie cette grille. Dès lors, le bilan permettrait de se laisser
surprendre face à la typologie des patients rencontrés. Le bilan suggère de
positionner un zoom là où nous ne pensons pas à regarder et de changer d’angle
de vue. Il ouvre parfois à un récit autour de la proposition faite pouvant
alors prendre un rôle de médiateur. Si pour certains, ce dernier constitue un
outil neutre, car proposé par l’extérieur, pour d’autres, l’engagement corporel
et personnel du psychomotricien le rend très subjectif. Par ailleurs,
l’observation est éminemment subjective. Toutefois, le bilan semble être un
outil qui se façonne au fil des rencontres avec les patients devenant l’occasion
d'une création mutuelle.
Si Raphaël Vonsensey défendait la
dimension politique du bilan, il reste certain que c’est l’utilisation qu’en
fait le psychomotricien qui demeure importante : interpréter et mettre en
lien.
Pour l'ARRCP,
Marème DIOP.
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