Un aperçu du café psychomot’ du 14 janvier 2014
Quel exercice
périlleux et courageux de rentrer dans l’impasse,
dans celle de nos thérapies psychomotrices lorsque plus rien ne semble bouger… C’est Joséphine
Dufour qui s’y est
« jetée », nous prouvant avec brio que c’est en réfléchissant sur nos
impasses que le chemin du déroulement thérapeutique prend forme.
Psychomotricienne,
Joséphine Dufour travaille en ITEP depuis sept ans avec donc une connaissance
expérimentée de l’enfant « turbulent ». Elle déploie aussi une
activité libérale depuis deux ans.
Joséphine s’est
appuyée sur le texte d’André Calza et Maurice Contant : « Le problème : vers une clinique de l’impasse »,
pp. 45-75, in
« Corps, sensorialité et pathologies de la symbolisation », Elsevier
Masson, Paris 2012.
Joséphine commence
d’ailleurs sa présentation avec l’hypothèse des deux auteurs. Pour eux, « l’impasse est un fonctionnement qui
résulte d’une dégradation progressive du
fonctionnement psychique adossé à la paradoxalité. » Ils font bien sûr
référence à D. W. Winnicott,
exposant le déroulement chronologiques des trois paradoxes dans l’éveil
psychique : « être seul en présence d’autrui », « le
trouvé-créé » et le « détruit-trouvé ».
L’acceptation de ces
trois paradoxes débouche sur le sentiment de continuité d’existence, et le
travail psychique de la transitionnalité.
Calza et Contant
pense que c’est par défaillance de la symbolisation primaire que les patients
addictifs dans l’anorexie et dans l’hyperactivité prennent appui sur leurs
sensations corporelles et motrices. Du fait d’un échec de la rencontre
maternelle dans le plaisir, il y a un défaut de représentation. D’où la
nécessité d’un mouvement perpétuel avec déplacement des représentations vers
les sensations. Pour les deux auteurs, la décharge motrice a un sens.
L’observation
psychomotrice pourrait-elle nous renseigner sur ce qui s’agit dans le corps et
se répète ?
Après avoir exposé
ces étayages à la réflexion de notre clinique, Joséphine nous invite à la
suivre dans l’accueil de Mathieu en
thérapie psychomotrice.
Mathieu est un
garçon de 11 ans hyperactif. Il est le deuxième d’une fratrie de trois garçons.
Très dysharmonique, il semble être l’enfant symptôme responsable du conflit
parental.
Mathieu est suivi en
psychomotricité depuis 2006 pour maladresse, à la demande de sa mère. Joséphine
s’est inscrite dans ce suivi depuis quatre ans. Mathieu a été hospitalisé en
psychiatrie il y a deux ans suite à une menace de tentative de suicide exprimée
au cours d’un entretien psychothérapique. Elle nous fait remarquer que la
menace est considérée comme un fait de réalité.
Mathieu est un
enfant qui bouge tout le temps, toujours fébrile. Si bien que Joséphine ponctue
son observation par l’expression de son propre vécu : « Là je suis un
peu fatiguée… Là je n’arrive plus à penser, à jouer. » Joséphine a bien
souvent l’impression de ne pas être dans un plaisir partagé avec Mathieu,
plaisir qui devrait être porteur du jeu et de la relation (cf Winnicott).
Les séances
comportent habituellement des jeux d’adresse, des jeux moteurs (foot, tennis…),
puis d’un temps de relaxation. Il semble impossible à Joséphine de sortir de ce
« modèle « de séance.
Mathieu a du mal à
accepter les règles. Plus les séances se succèdent et plus Mathieu ne supporte
plus de perdre.
S’il n’y a pas de
plaisir, à l’inverse, Mathieu ne semble pas percevoir de déplaisir. Il ne se
lasse pas tant que ce n’est pas terminé. Il y a beaucoup d’excitation. Mathieu
peut parfois casser du matériel (raquette de tennis).
Lorsque Mathieu et Joséphine
se retrouve la semaine suivante, celle-ci lui dit : « On n’a pas
joué ». Mathieu se montre alors plus calme, plus apaisé, avec l’impression
que cela continue, que tout n’est pas détruit. C’est alors qu’arrivent en
séances les mimes dans un plaisir partagé. Cependant Mathieu reste à distance
de ses affects.
En prenant du recul
par rapport à ces quatre années de thérapie psychomotrice, Joséphine pointe des
attitudes paradoxales de Mathieu :
·
Il se coupe de la
relation en s’enveloppant dans des matelas, privilégiant la communication
infra-verbale.
·
En étant
complètement immobile il dit : « Il faudrait faire quelque
chose ». Mathieu est alors dans un état d’ « agitation
immobile », nous dit Joséphine, comme s’il y avait une absence de
réflexivité sur son état.
Les matelas peuvent
être une barrière protectrice contre les intrusions. Mais plus généralement, le
jeu moteur est la seule voie d’entrée en relation.
D’après Calza et
Contant, c’est le défaut d’échoïsation qui empêche à la décharge motrice de
devenir message.
Perdre à un jeu,
c’est peut-être perdre quelque chose de lui.
La psychomotricité
serait un cadre psychothérapeutique judicieux pour Mathieu, ne présentant pas
de double contrainte, c’est-à-dire sans interdiction de bouger.
La plupart du temps,
le corps prend toute la place et finalement parle peu. Dans l’immobilité, dans
cet état de « tension immobile » voir « d’agitation
immobile », Mathieu est peut-être en attente d’une parole de la part de
Joséphine. En tout cas, Joséphine peut
le penser. Serait-ce une expérience « d’être seul en présence de
l’autre » ?
A partir de cette
présentation de Joséphine, nous nous laissons penser, et les échanges s’animent entre nous.
Natacha nous dit que
le cas de Mathieu illustre comment dans la répétition il y a projection sur
l’extérieur, sur le thérapeute psychomotricien. Accueillir la répétition
permettrait d’introduire la transitionnalité. Le « on n’a pas joué »
de Joséphine rappelle le cas du petit Anthony décrit par Calza et Contant et
qui amène les deux auteurs à ce questionnement « Quel jeu potentiel recèle
ce non jeu ou quel jeu potentiel est en souffrance ?»
Interrogée sur les
moments où Mathieu se cache sous les matelas, ou dans le tunnel, Joséphine le
comprend aussi comme un besoin d’être contenu, de se sentir protéger. Par
ailleurs, Mathieu aime se montrer (jeux de mimes).
Denis pense que
le jeu, c’est toujours pour de vrai pour ces enfants. Entre le semblant et le
pour de vrai, il n’y a pas de différence, pas de distance. Le faire semblant
agirait comme un travail de désillusion de la réalité (une issue déçue).
Roland reprend le
moment de retrouvailles avec les mots de Joséphine « On n’a pas
joué ». Une parole qui questionne l’existence d’un espace transitionnel
dans l’aire de jeu. C’est comme une menace de confusion : Est-ce du
jeu ?
Il y aurait une
menace de confusion chez Matthieu et Joséphine. Cette confusion nous ramène à
la question du paradoxe de Winnicott et Roussillon évoque, lui, la capacité à
résister dans la réalité.
Denis reprend l’expression
de Joséphine « agitation immobile ». La confusion entre l’inerte et
l’immobile, entre la vie et la mort, serait peut-être trop à fleur de peau pour
que le thérapeute puisse la recevoir.
Roland ramène un
autre paradoxe : celui de l’indication qui, si elle est pertinente car du
côté du passage à l’acte, elle est aussi tellement sensible et sérieuse que
c’est peut-être très difficilement sublimable.
D’autres échanges
croisés nous ramènent aussi du côté de l’histoire de Matthieu, de sa
souffrance, de son « faire semblant » et de ce qui à peut-être à se construire d’abord dans le
corps du thérapeute (rythmicité, posture…)
Enfin Joséphine
conclue en relatant comment la préparation de ce café psychomot’ lui a permise
d’avancer dans son travail avec Mathieu, pensant que plus généralement, c’est
en travaillant sur nos impasses que nous pouvons nous remettre à penser et sortir
de la confusion pour ré-ouvrir à la créativité de nos rencontres en séance de psychomotricité.
En tout cas, un
grand merci à toi Joséphine pour ta présentation et le débat qu’elle nous a
permis en toute créativité !
Le prochain café
psychomot’ aura lieu le 15 avril prochain. Nous vous invitons à consulter le
blog de l’ARRCP durant la deuxième semaine de mars pour avoir confirmation de
la date.
Le thème sera celui
des médiations : comment le choix et le façonnage de l’outil médiatique
permettent-ils de relancer la créativité ?
Qui veut se lancer
dans ce projet ?... avec bien sûr notre aide habituelle si besoin dans le
choix d’un ou de plusieurs articles de références, mais aussi dans
l’élaboration de la présentation.
Pour l’ARRCP,
Odile Gaucher et
Natacha Vignon
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